Le jazz de Joe avec Manu Katché

Le batteur Manu Katché présente sa nouvelle aventure musicale "The ScOpe". © Arno Lam

Chaque semaine, dans L'épopée des Musiques Noires sur RFI, Joe Farmer met en relief la diversité des couleurs sonores nées de la diaspora africaine dans le monde. Manu Katché a prouvé tout au long de son éclectique parcours que la cadence de ses racines ivoiriennes a façonné son jeu de batteur résolument inventif et ouvert. Son dernier album en date est une nouvelle démonstration de cette curiosité jubilatoire du rythme qu’il aime malaxer sans s’interdire de surprendre son auditoire. The ScOpe est, en effet, une aventure musicale déroutante mâtinée de trip-hop et de circonvolutions afro-pop audacieuses, mais rigoureusement ciselées. Une fois de plus, Manu Katché expérimente avec le talent de l’instrumentiste aguerri.

Les quelque spectateurs présents lors de la soirée inaugurale du Club Nubia sur l’île Seguin, près de Paris, en mars 2018, se souviennent forcément de la prestation inattendue du génial Manu Katché. Invité par le bassiste Richard Bona à venir essuyer les plâtres de ce nouvel établissement dont la programmation multicolore promise épousait idéalement ses convictions, le fameux batteur avait justement choisi de présenter The ScOpe dont la pulsion métronomique captiva le public et quelques journalistes interloqués. C’est la première fois que ce répertoire était interprété in vivo.

Depuis, le projet a mûri et s’est nourri de nouvelles sources sonores. L’irruption subtile d’une kora dans le kaléidoscope rythmique introductif du disque, la présence harmonieuse de Faada Freddy, l’un des trois artisans du succès du groupe Daara J au tournant des années 2000, les mots syncopés du rappeur Jazzy Bazz, tous ces ingrédients inscrivent la démarche de Manu Katché dans un présent cosmopolite moderne.

La direction artistique est profondément assumée comme toutes les aventures entreprises par ce rythmicien hors pair au fil des décennies. Qu’il ait secondé Peter Gabriel, Youssou N’Dour ou Joan Armatrading, qu’il ait présenté des émissions de télévision ou de radio, qu’il ait écrit (déjà) ses mémoires, qu’il ait fait paraître des albums de jazz épatants, son exigence et son enthousiasme restent intacts. Il suffit de voir son sourire éclatant illuminer ses concerts pour comprendre que l’investissement est total et sincère. Manu Katché n’a jamais accepté une collaboration pour sa propre publicité. Il est un homme intègre dont les coups de cœur ne souffrent aucune contestation.

Si sa notoriété s’est accrue au contact des étoiles du rock et de la pop, il n’en reste pas moins un virtuose discret qui se joue du star-system. Bien conscient de son épopée prodigieuse, il ne fanfaronne pourtant pas. C’est au détour d’une conversation que certaines confidences se font jour.

Le plus simplement du monde, Manu Katché vous narre sa rencontre avec Miles Davis et Mohammed Ali dans le New Jersey en 1988, son enthousiasme de retrouver Sting à ses côtés en 2016 pour le soutenir confraternellement à l’occasion de son premier Olympia, les moments de tournage enjoués quand il présentait One Shot Not sur la chaîne franco-allemande Arte.

Ce monsieur n’est jamais blasé. La routine n’existe pas dans sa vie de musicien. Le seul moyen d’avancer est de se mettre en danger, de prendre des risques, de se lancer des défis. Adapter sa vitalité jazz personnelle à un label comme ECM fut plutôt audacieux, c’est pourtant ce que Manu Katché tenta avec brio et application en 2005.

Les dix années qui suivront intensifieront son swing un tantinet malicieux, car derrière ce flirt avec la tradition subsistera toujours ce désir de déjouer les codes et cet appétit pour la transgression musicale. Écoutez donc Clubbing, Beats and Bounce, Keep on Trippin’ ou So groovy, des titres parus entre entre 2007 et 2012, vous ressentirez instantanément la singularité de ce tempo enivrant et fort créatif.

Cette patte particulière irradie aujourd’hui The ScOpe. La frappe de Manu Katché est plus évidente et franche. Maintenir le groove semble être une impérieuse nécessité pour cet album electro-pop dont la matrice africaine reste diffuse, mais essentielle. Finalement, tous les éléments qui ont conduit Manu Katché à cette fluidité que d’éternels ronchons pourraient juger simpliste existaient déjà dans son ADN musical.

La liberté de créer ne peut s’exercer que si la technique et la pratique sont solides. Les études classiques du jeune Manu Katché au conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés en 1965 ont forcément dessiné le cadre dans lequel sa fougue créative a pu s’exprimer et se développer. Il n’avait plus qu’à se laisser porter par sa ferveur, ses passions et, plus tard, ses choix et engagements personnels.

Manu Katché présentera The ScOpe le 1er février au Café de la Danse à Paris. Une occasion festive de découvrir les coups de baguettes magiques de ce maître du temps… fort !

Manu Katché The ScOpe (Anteprima/Bendo Music) 2019
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