Awa Ly, la femme-médecine
Il y a quatre ans, la chanteuse Awa Ly sortait son premier disque, Five and a Feather, dans lequel elle communiquait avec les mondes invisibles. Aujourd'hui, avec Safe and Sound, elle renforce encore sa dimension spirituelle et tribale : une sorte de transe douce et puissante, aux couleurs jazz.
Lorsqu'elle a choisi le titre de son dernier disque, Safe and sound (en français, "sain et sauf"), Awa Ly ne s'attendait pas à ce qu'il soit, à ce point, prémonitoire. Car voici bien, au temps du coronavirus, ce qu'elle souhaite, de tout cœur, à ses compatriotes italiens, à l'ensemble de la population mondiale et à la terre-mère : une bonne santé.
Elle-même se porte bien, depuis sa retraite parisienne, confinée dans l'appartement d'une amie : "Je m'apprêtais à assumer la promotion de mon album, confie la chanteuse jazz, d'origine sénégalaise. Je n'ai pas eu le temps de rentrer chez moi. Seule, je n'éprouve pourtant pas de sentiment de solitude. Je prends le temps de lire, de méditer, de bosser, avec une utilisation du temps différente."
Au rythme de son cœur
Nous avions rencontré Awa Ly en 2016 lors de la sortie de son premier disque, Five and a feather. Et depuis, l'artiste a déployé ses ailes. À la faveur du bouche-à-oreille, elle a sillonné le globe pour répandre sa musique de sortilèges, avec notamment une halte au Cap-Vert, archipel dont la douceur charnelle lui a inspiré une chanson : What goes around.
Ainsi a-t-elle composé une poignée des titres de Safe and sound, sur les routes du monde. L'autre partie - la majorité - fut, en revanche, écrite dans un retranchement monacal, son propre confinement, sur la plus petite des îles éoliennes. "A cet endroit, je m'isole régulièrement, dans une maisonnette, au milieu de nulle part, qui surplombe la mer, raconte-t-elle. Ici, la vie se révèle rudimentaire. Il n'y a pas d'électricité, on récupère les eaux de pluie. On vit au contact de la nature et des éléments : un environnement propice à l'introspection ! À ce moment-là, je commençais aussi la méditation qui m'a appris, entre autres, à être à l'écoute du rythme premier : celui de mon cœur !"
Autour de cette observation avisée de son tempo interne, Awa Ly forge d'autres percussions. Ainsi compose-t-elle : en tapant dans ses mains, en tambourinant sur les coins de tables…Des rythmes sur lesquels jaillit son chant. "Je frappais, spontanément, des rythmes hypnotisants, tribaux…J'entrais dans une transe, une sorte de cérémonie. J'imaginais des chamanes qui s'exprimaient à travers moi, des chants qui s'élevaient de la terre et qui m'élevaient, moi aussi. Comme une transcendance…", se rappelle-t-elle.
Et les tambours, les percussions qui parcourent les pistes de son disque, ne sauraient être uniquement ceux de ses ancêtres. Ils expriment, bien plutôt, un pouls universel. "S'il y a une unité commune à notre humanité dans la musique, ce sont les percussions, dit-elle. Du Japon à l'Inde, de l'Afrique aux Amériques, des rythmes partagés résonnent ! Partout sur la planète, le tambour reste l'instrument des chamanes, pour communiquer avec les puissances supérieures. Tout est à base de rythme, la vie-même est à base de rythmes !"
Sur ses pulsations, Awa Ly a écrit des poésies, des mantras, des textes qui parlent de l'individu et du collectif, des rapports introspectifs et interpersonnels, de notre relation à la nature et au cosmos, de notre appartenance au même organisme, et du pouvoir de l'instant présent.
La musique qui guérit
Une fois ses chansons composées, il lui a fallu trouver le producteur, l'arrangeur qui saurait les habiller, les révéler à elles-mêmes, mettre en relief leur essence. Après deux ans de recherche, elle trouve la personne idéale : Polérik Rouvière. "Il a élevé mes titres exactement dans le sens que je désirais. Je viens du jazz et du blues ; lui davantage de la pop. Au final, il a aussi insufflé des touches folk… Un vrai métissage !"
Car voici aussi la séduction qu'opère ce disque : s'installer à la croisée de plusieurs univers. Pour Awa Ly, cette hybridation reflète son parcours : "Née dans le XIIIe arrondissement, à Paris, j'allais, enfant, très souvent à Dakar, j'ai étudié aux USA, j'habite en Italie... Tout s'emmêle !" À ce maillage d'influences, elle convie aussi des invités de choix, qui partagent avec elle une connexion d'esprit : la batteuse de jazz Anne Paceo, le guitariste guinéen Moh! Kouyaté, le chanteur Arthur H, ou encore Piers Faccini.
Des douze pistes de Safe and Sound, émane une profonde sérénité autant qu'un ancrage au sol, une musique solide et aérienne, de celles qui guérissent. "La spiritualité joue un rôle très important dans ma vie, conclut-elle. Et parmi ces formes qui te permettent d'atteindre la transcendance, la musique reste pour moi une pratique religieuse comme une autre, pour communiquer, communier avec l'invisible". Et peut-être est-ce pour cela que son album sonne aussi "blues" : comme une prière, aux racines profondes et aux ramages qui tutoient le ciel.
Awa Ly Safe and Sound (Rising Bird Music/Naïve) 2020
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