Le Jazz de Joe : Alune Wade

Le bassiste sénégalais Alune Wade. © Chela Lamar

Dans un monde en constante ébullition, tristement rythmé par les velléités belliqueuses et les défiances internationales, les élans bienveillants sont une oasis de réconfort très appréciable. Alune Wade est un bassiste multidisciplinaire sénégalais dont les œuvres ont toujours suscité l’apaisement et la concorde entre les peuples. Son dernier projet, Sultan, est un encouragement à écouter les sources musicales sereines et enrichissantes du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest et du Moyen-Orient.

De longue date, Alune Wade fait scintiller les mille et unes couleurs de nos cultures ancestrales. Au contact de dizaines d’artistes, il a appris, au fil des décennies, à accepter les différences et à s’en nourrir. Partenaire de personnalités d’horizons très divers, de Joe Zawinul à Oumou Sangaré, de Bobby McFerrin à Youssou N’Dour, il a su conjuguer au pluriel son idiome artistique et devenir un homme sage, attentif et curieux.

Ces dernières années, il a multiplié les rencontres et a pu savourer le bonheur de se confronter aux accents et aux effluves de patrimoines dont il se sent de moins en moins étranger. En compagnie du pianiste Harold Lopez Nussa, il a relié les deux rives de l’Atlantique, il a bâti un pont entre Cuba et le Sénégal. Avec son homologue américain Marcus Miller, il a trouvé le dénominateur commun entre plusieurs approches rythmiques et harmoniques de la diaspora africaine.

Plus récemment, il a créé l’unité de trois pays, dont les histoires se confondent, en s’associant au pianiste malien Cheick Tidiane Seck et au batteur ivoirien Paco Sery. Le trio, baptisé 368°, devint ainsi la manifestation mélodieuse d’un panafricanisme inévitable.

Alune Wade ne pouvait cependant pas s’arrêter en si bon chemin. Il lui fallait enfoncer le clou et prouver que les bonnes âmes sont un rempart contre les peurs infondées. Alors, au hasard de ses périples à travers la planète, une idée a germé et s’est finalement concrétisée. "Ces 10 dernières années, j’ai eu la chance de croiser de nombreux musiciens dont certains sont originaires du Maghreb. Je pense notamment à mon ami multi-instrumentiste marocain Aziz Sahmaoui, au chanteur tunisien Mounir Troudi ou au batteur algérien Karim Ziad. J’ai donc essayé de m’approprier cette musique maghrébine pour la faire entrer dans mon univers musical d’Afrique de l’Ouest. Je ne cherchais pas à obtenir une tonalité orientale, ni une musicalité afrobeat. Je cherchais le juste milieu. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai enregistré cet album, Sultan, à plusieurs endroits, notamment New York et Paris, qui sont les épicentres de mes rencontres multiculturelles. Par la suite, j’ai eu l’opportunité de passer un mois à Tunis. Là, j’ai découvert une forme d’expression que je ne connaissais pas. Il s’agit du Sambali, une musique rituelle que j’ai pu apprécier de près puisque j’ai passé du temps avec des musiciens traditionnels".

Un homme d'ouverture

Convaincu d’avoir trouvé la clé d’une inspiration collégiale, Alune Wade dut identifier ce projet par un titre suffisamment fédérateur pour susciter l’intérêt de ses premiers auditeurs. Sultan semblait convenir à cet idéal de plénitude artistique qu’il appelait de ses vœux.

Qui sont ces sultans qu’Alune Wade souhaite représenter dignement à travers ses nouvelles compositions ? Sont-ils seulement ces souverains arabes qui peuplent notre imaginaire collectif ? Ont-ils à ses yeux une valeur symbolique omnisciente ? Seraient-ils comme des griots ? Des messagers ? Les légataires d’un savoir millénaire développé de génération en génération ?

La force expressive de la musique permet toutes les lectures et définitions possibles et cette liberté-là facilite le discours universaliste de tout créateur. "Le sultan est, ancestralement, un homme de pouvoir qui voyageait beaucoup et transmettait sa connaissance et son expérience. Le sultan de mon album est un être d’amour, un homme de culture, un homme d’ouverture. Le sultan est trop souvent associé au Moyen-Orient. Il ne faut pas oublier que parmi les maures d’Afrique du Nord et jusqu’en Mauritanie, il y avait des sultans. On ne les appelait pas ainsi, mais ils étaient les représentants d’un peuple et d’un héritage patrimonial. Cette histoire a été progressivement oubliée, mais ma vision des choses est beaucoup plus universelle. Le sultan symbolise pour moi une communauté d’hommes de cœur que l’on trouve aussi bien en Afrique du Nord qu’en Éthiopie. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu mélanger ce que l’on appelle communément l’Ethio-jazz, les musiques du Maghreb et les musiques d’Afrique de l’Ouest. Quand on se lance dans ce genre d'expérience musicale, on se dit que la possibilité d’un rapprochement culturel entre les peuples est crédible. Nous sommes liés les uns aux autres par l’histoire. Il suffit d’écouter les gammes, les modes, les notes que l’on utilise dans nos musiques respectives pour comprendre que nous ne sommes pas loin les uns des autres".

 

Fusion des cultures

Pour mener à bien cet ambitieux dialogue intercommunautaire, la science de l’interprétation et de l’écoute est indispensable. Alune Wade a pris le soin de s’entourer d’instrumentistes aguerris et convaincus du bien-fondé de cet élan généreusement altruiste. C’est donc une myriade de virtuoses internationaux qui magnifie ce noble répertoire. Cyril Atef, Mustapha Sahbi, Adriano Tenorio, Christian Sands, Lenny White, Carlos Sarduy, Noura Mint Seymali, Guimba Kouyaté, Bobby Sparks, autant de noms et de sonorités qui nous font voyager et nous rappellent que les distances géographiques ne nous éloignent pas nécessairement, elles peuvent, au contraire, nous inciter à aller toujours plus loin, ne serait-ce que par un appétit certain pour la découverte et l’inconnu.

Il nous faut juste un guide, il peut être un ami, un confident, un griot, un sultan, un sage, il peut s’appeler Alune Wade et nous faire rêver ! "Ce qui me nourrit, c’est la fusion des cultures. J’ai grandi avec cette notion de partage et d’échange. Le fait d’avoir croisé la route de personnalités d’horizons divers me pousse à conjuguer la musique au pluriel. Cela ne veut pas dire, pour autant, que je me noie dans cette fusion des cultures. Je suis attaché à mes racines, à l’Afrique de l’Ouest. Je chante toujours en wolof, je pense en wolof, et bien que je sois résident parisien depuis une vingtaine d’années, je me sens profondément sénégalais. J’ai aussi la chance d’être francophone, mais je garde les liens qui me rattachent au continent africain et au Sénégal en particulier. Quand je travaille avec des musiciens issus de contrées différentes, je n’essaie pas d’imposer ma culture, elle s’impose d’elle-même. Mon patrimoine s’exprime de lui-même".

Alune Wade Sultan (Enja Yellow Bird/L’autre Distribution) 2022 

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