Le Jazz de Joe : Mario Canonge & Michel Zenino
Depuis plus de 15 ans, le pianiste martiniquais Mario Canonge et le contrebassiste marseillais Michel Zenino régalent, chaque mercredi, les amateurs de swing authentique en se produisant sur la scène d’un club de jazz parisien, le Baiser Salé. Leur complicité hebdomadaire est devenue un rendez-vous incontournable qu’il fallait cependant pérenniser sur disque. La première salve en studio eut lieu en 2017 et, pour l’occasion, le duo devint un quintette. Cinq ans plus tard, nos deux compères enfoncent le clou avec le même enthousiasme fougueux et les mêmes partenaires.
Dès les premières notes de l’album initial, Quint’up, le ton fut donné. Nos oreilles découvraient un répertoire vigoureux très inspiré par les formations légendaires d’antan, celles d’Art Blakey ou d’Horace Silver. L’addition de trois instrumentistes émérites à cette proposition trépidante, née de l’esprit créatif de deux solistes inséparables, parvint à nourrir une collégialité mélodique et rythmique indiscutable.
L’apport du batteur guadeloupéen Arnaud Dolmen, du trompettiste américain Josiah Woodson et du saxophoniste cubain Ricardo Izquierdo, fut déterminant. Leur virtuosité et leur lecture multiculturelle de l’improvisation jazz libérèrent des couleurs sonores audacieuses et inventives. Calypsonge fut une belle surprise et un bon exemple de cette ouverture vers une tonalité héritée de la source caribéenne.
Pour autant, il serait injuste de réduire les choix stylistiques de ces cinq intrépides musiciens à ce seul désir d’imprimer leurs origines respectives. Quint’up était d’abord un album de jazz respectueux de la tradition afro-américaine des années 50 et 60.
Un second volume
Quint’up II confirme d’ailleurs notre impression première. Si l’on perçoit indubitablement en filigrane l’idiome de ces cinq palpitants interprètes, il subsiste l’écho des temps anciens quand le hard-bop jouait avec les acrobaties harmoniques de patrimoines africains ancestraux.
Cette évocation diffuse du jeu aventurier des aînés rejaillit dans chacune des compositions de ce quintette virevoltant. Il faut croire que le cheminement de ces cinq agitateurs a nécessairement guidé leurs choix artistiques vers une célébration inévitable et révérencieuse de leurs mentors.
Il suffirait de citer les noms des personnalités séduites par les seules prouesses de Mario Canonge pour comprendre combien son désir de saluer ses contemporains et de rendre hommage à ses chaperons est une exigence. Il est lui-même un compositeur et arrangeur de grande valeur qui a de la mémoire et sait combien les encouragements ont une importance capitale dans le développement d’un jeune talent. Les conseils et l’esprit de camaraderie suscitent la confiance et l’envie de créer.
Si Mario Canonge et Michel Zenino ont initié ce projet discographique, ils ont surtout réussi à mobiliser la force expressive d’Arnaud Dolmen, Josiah Woodson et Ricardo Izquierdo. Ils ont consolidé ce lien musical invisible qui les unit. Curieusement, alors que leur langage commun devrait échapper aux comparaisons hâtives tant il s’abreuve de sources diverses, le parfum du quintette de Miles Davis, dans les années 60, nous enivre tout au long de Quint’up II.
Le titre Who speaks when I speak, notamment, semble revitaliser une époque, un son, un jazz, enfouis dans notre mémoire lointaine. Et pourtant, tout cela reste si vivace et actuel. C’est le tour de force de cette formation qui défie l’inexorable pesanteur du temps qui passe. La fraîcheur de cette musique-là nous enchante et se joue de l’héritage pour le sublimer.
Un disque témoignage
Chaque mercredi, depuis 15 ans, le public du Baiser Salé à Paris a pu assister à la genèse, à l’évolution progressive, à la finalisation d’une modeste ambition dont un disque épatant est devenu le témoignage vibrant. Qui aurait dit, en 2008, que le dialogue in vivo de deux maestros provoque une conversation si riche ?
Ces échanges se poursuivront nécessairement tant ils sèment des mots et des notes que d’autres trublions s’approprieront. La transmission générationnelle ne cessera jamais. Mario Canonge et Michel Zenino peuvent compter sur leurs acolytes déjà unanimement encensés.
Arnaud Dolmen n’a-t-il pas reçu la Victoire du Jazz de la révélation 2022 ? Josiah Woodson n’a-t-il pas été salué par un Grammy Award pour sa participation à l’album Love on top de Beyoncé en 2013 ? Ricardo Izquierdo n’a-t-il pas été honoré par deux fois d’un trophée Révélation du mensuel Jazz Magazine en 2014 et 2017 ?
Le vendredi 10 février 2023, Michel et Mario ont exceptionnellement fait une infidélité à leur club fétiche. Le New Morning, autre temple quarantenaire de la capitale française, les accueillait avec leurs trois compagnons de route, totalement investis dans leur art, et leur a offert les clameurs de spectateurs attentifs et heureux de savourer le jazz rigoureux et jouissif de Quint’up II.
Mario Canonge – Michel Zenino Quint’up II (Aztec Musique) 2023
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