Trans Kabar : de l’électricité dans le maloya

Le groupe Trans Kabar conjugue le maloya et le rock dans un album intitulé "Maligasé". © DR

Avec Trans Kabar, le percussionniste et chanteur Jean-Didier Hoareau et le guitariste Stéphane Hoareau, accompagnés de Théo Girard à la contrebasse et Ianik Tallet à la batterie, conjuguent le maloya et le rock, électrisent les musiques mystiques des Servis Kabaré. Un disque qui sonne et qui claque, tout en conservant intact l’esprit de la tradition.

L’histoire réunionnaise de Trans Kabar, commence pour moitié à Sartrouville. Dans cette ville des Yvelines au nord-ouest de Paris, Jean-Didier Hoareau ("Jidé" pour les intimes) grandit, à 10 000 kilomètres de son île : une distance géographique qui n’empêche pas la proximité avec sa culture. À la maison, son père sifflote au quotidien des airs maloya, que l’enfant capte dans l’air. Et puis, dans ses bagages, son célèbre tonton de La Réunion, Danyèl Waro, ramène, lors de ses tournées, des instruments, des histoires créoles et des rythmes en pagaille. Jidé raconte : "On avait un dictionnaire franco-créole. Je commençais à lire, à composer. Je forgeais mes premières figures de style, mes premières chansons. J’étais fier de révéler ma culture aux copains". Tous les trois ans, grâce aux congés bonifiés, octroyés à son père fonctionnaire, Jidé passe deux mois de vacances sur l’île, plonge à cœur ouvert dans ses musiques, ses kabars, ses cérémonies.

L’autre moitié de l’histoire commence sur l’île elle-même, avec Stéphane Hoareau – ils ont le même nom mais ne sont pas de la même famille. Le garçon joue de la guitare : du rock, du jazz, parfois du séga. "On n’était pas à fond dans le maloya, reconnaît-il. En fait, on l’entendait tout le temps, du coup on n’y accordait pas trop d’intérêt. On était trop proches. C’est en habitant à Paris, pour mes études, que je m’y suis reconnecté".

Du rock dans le kabar

Les deux garçons se rencontrent à l’adolescence, lors d’une session camping à Grand Bassin, lieu magique de l’île. "Mon cousin sortait avec la sœur de Jidé, se remémore Stéphane On a passé cinq jours de vie sauvage ensemble". Plus tard, Stéphane étudie à Paris et les deux garçons se recroisent dans les kabars, les fêtes organisées par  l’association réunionnaise Seksion Maloya. Récemment, le guitariste a monté le groupe Girafe, rock abrasif en hommage à Alain Peters. Enfin, avec Trans Kabar, Jidé et Stéphane décident de conjuguer leur talent pour honorer les versants spirituels de la musique réunionnaise : le son des Servis Kabarés. Sur leurs pistes, avec deux collègues – le contrebassiste de jazz et musique improvisée Théo Girard et le batteur Ianik Tallet – ils mêlent avec succès, dans leur grand chaudron, rythmes maloya, poésie créole, batterie rock et guitares électriques. Sur leur recette inédite, aux allures d’évidence, Stéphane explique : "Je me suis demandé quelle pouvait être ma position par rapport à la musique de mon île, comment mon itinéraire pouvait inclure ces racines". Jidé ajoute : "J’ai toujours vu mon oncle s’essayer à d’autres instruments, creuser d’autres voies. Et puis, contrairement aux anciens, nous n’avons plus ce devoir de mémoire par rapport à cette musique  ni celui de jouer le maloya ‘à la lettre’. L’important, c’est d’en conserver le cœur et l’esprit".  D’ailleurs, les deux garçons perçoivent des points communs entre rock et maloya : "Une forme de rage".

La magie de la voix

Pour construire ce premier disque, Maligasé, avec son titre en hommage aux ancêtres malgaches, Jidé pioche dans le patrimoine des Servis Kabarés, des morceaux-frissons, qui lui collent à la peau, en extrait bribes, refrains, questions-réponses, réalise ses propres collages – "comme dans les cérémonies", précise-t-il – pour forger ses chansons. Autour du chant, de la voix, Stéphane construit ses instrumentations, occupe l’espace, sculpte le son en volume. Au sein de cette orchestration foisonnante, dense, mais ciselée  d’infinis détails, la voix de Jidé s’impose en pilier, en phare. Et son chant se révèle époustouflant, tour à tour aigu et ténu, comme celui d’un oiseau, ou rauque, sorti des tripes, connecté à la terre, toujours précis, incarné, entre râles et mélodies lumineuses. Jidé et Stéphane s’accordent sur ce point : le maloya commence par la voix : "Pour moi, les premières émotions restent connectées au chant des gramouns qui montaient dans la cour. La voix communique avec les esprits." éclaire le chanteur. Sur ce disque, la voix de Jidé prend encore davantage d’ampleur, galvanisée, portée par les instruments. "Grâce aux arrangements de Stéphane, j’ai exploré des territoires vocaux, que je n’avais jamais encore atteints jusque-là", s’enthousiasme-t-il. Et puis autour de Jidé, les trois autres garçons donnent de la voix, en question-réponse.

Avant de réaliser ce disque, enregistré en trois jours à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, Trans Kabar avait déjà à son actif une cinquantaine de concerts. Le disque se trouve ainsi : fort de l’énergie de la scène, de celle d’une transe contagieuse. Avec ce premier disque, les Parisiens embarquent le maloya, cette musique qui voyage toujours avec eux, vers des terres inconnues et électriques : de nouveaux horizons bienheureux, qui sonnent et qui claquent, qui confèrent aux traditions un souffle nouveau, tout en conservant intact l’esprit des Servis Kabarés – le rassemblement joyeux, l’énergie terrestre et la spiritualité.

Trans Kabar Maligasé (Discobole Records) 2019

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