Avec MIND, le son du hip hop coule dans le maloya réunionnais

La pochette de l'album "M.I.N.D., Maloya is not dead", © KAYMILLION

Réunis par un producteur visionnaire autour d’un projet intitulé MIND, une vingtaine d’artistes réunionnais est parvenue à repousser les limites du maloya et enrichir ses sonorités traditionnelles en le maillant au plus fin avec une base musicale ainsi qu’une énergie hip hop.

La rencontre n’avait a priori rien d’évident. À la fois sur le fond et la forme. D’un côté, une musique traditionnelle, héritage culturel de l’esclavage et de l’engagisme qui sont à la source du peuplement de La Réunion : présent dans les mariages, les baptêmes, les fêtes de quartier et représenté sur la scène internationale par quelques artistes étiquetés "musique du monde", le maloya souffre auprès de certains d’"une image folklorique où tout est ramené à la souffrance, à la colère", explique le musicien et producteur Nicolas "NikoOo" M’Tima, concepteur et maitre d’œuvre du projet MIND (l’acronyme de Maloya is not dead). De l’autre, une musique urbaine, devenu un genre planétaire avec ses codes et son univers : le hip hop, lui aussi encombré de clichés réducteurs. À cela, ajoutez une "barrière rythmique" qui se dresse tel un obstacle entre les deux styles et qu’il faut trouver les moyens d’enjamber : le premier est ternaire, et le second binaire.

Hormis le goût de résoudre des équations complexes, déjà posée régionalement par le seggae mauricien né du sega et du reggae, pourquoi s’être lancé dans une aventure artistiquement si risquée ? "Je me suis rendu compte qu’au niveau musical, il me manquait quelque chose pour me différencier. Au lieu d’aller chercher chez les autres, il faut commencer par s’intéresser à ce qu’il y a chez soi", explique le Réunionnais, qui a pris conscience de la situation au contact de producteurs américains ou jamaïcains avec lesquels il voulait travailler.

Comme l’emblématique chanteur de Ziskakan, Gilbert Pounia, ou encore la fille de celui-ci, Maya Kamaty, c’est loin de son île que NikoOo a changé de regard sur le maloya et entrevu la possibilité de le combiner à ses influences hip-hop afin de lui donner l’opportunité de s’exporter davantage. Le sortir de la niche dans laquelle il est souvent cantonné. D’autres s’y sont essayés, avec leurs propres univers musicaux, rappelle-t-il : le jazz pour Meddy Gerville, l’électro pour Jeremy Labelle.

Des artistes venus du hip hop et du maloya

Puisque le sample est "l’essence du hip-hop", le trentenaire a d’abord commencé par se pencher sur le répertoire du Rwa Kaf, de Granmoun Lélé et de Danyel Waro pour y trouver sa matière première. L’approche montre très vite ses limites : “Quand on ajoute une rythmique binaire derrière, on a un temps qui tombe dans le vide, qui n’est pas naturel”, reconnait-il avant d’exposer sa solution : “Il fallait donc avoir la réflexion inverse : poser la base hip-hop et ensuite jouer du ternaire à l’intérieur.”

Un premier essai a lieu en 2017, à la faveur de vacances sur son île natale qu’il avait quittée 12 ans plus tôt. NikoOo s’enferme en studio avec Lindigo, l’une des figures de la nouvelle génération de maloyeurs, la rappeuse Tipimente et quelques instruments traditionnels. Le test, que l’on retrouve sur l’album sous le titre Tiembo Maloya, s’avère concluant. Associer des artistes venant de chacune des deux sphères révèle en outre une formule qui fonctionne, et qu’il se promet de reconduire. Revenu vivre à La Réunion peu après, le producteur prend son bâton de pèlerin pour solliciter les artistes de la scène maloya, car il veut donner à son projet une dimension collective, fédérer. Pas simple, toutefois, de “vendre le côté hip-hop”, confie-t-il, d’autant que l’inscription du maloya au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco lui a conféré une forme de sacralisation qui rend “touchy” toute volonté de le faire évoluer.

 

Mais ses intentions séduisent quand il les expose et, au-delà, son savoir-faire convainc. Les unes après les autres, les pointures du genre entrent dans la danse, après Lindigo : Davy Sicard, qui avait été invité par le rappeur Kery James sur Soledad en 2012, mais aussi Kiltir, Zanmari Baré, Simangavole, Votia (emmené par la fille de Granmoun Lélé) ou encore Françoise Guimbert, décédée en mars 2022 et dont l’autobiographique Françoise constitue sans doute l’ultime enregistrement. Alors qu’en allant la voir, il pensait se faire “envoyer bouler avec sa musique de jeune”, NikoOo a au contraire été accueilli “à bras ouverts avec beaucoup d’enchantement” par cette doyenne qu’il a pu questionner sur une certaine époque du maloya.

Si passé et présent se mélangent même dans les textes, comme cette référence à l’incontournable Valé Valé (intitulé à l’origine Le Roi dans le bois) de Firmin Viry que l’on entend sur Somin Limière avec Alaza et Gadiembé Maloya, MIND aborde aussi La Réunion dans sa diversité. Et en particulier sa composante malgache, au son du kabosy (guitare locale) sur Nou Va Alé et de l’accordéon sur Kisa Mi Lé. Là encore, à l’image du reste de l’album, les choix audacieux et la vision pertinente de NikoOo font souffler sur ces musiques insulaires, et souvent isolées, un vent de fraicheur bienvenue.

Compilation M.I.N.D. Maloya is not Dead (Kaymillion) 2023