Alla Seck, éternelle étoile du mbalax

Alla Seck sur scène. © Jenny Cathcart

Le Sénégalais Alla Seck a joué un rôle unique dans l’histoire du mbalax, à la fois au micro et dans son expression dansée. 35 ans après sa disparition survenue le 14 juin 1987, RFI Musique revient sur son parcours et son impact.

Pendant près de quinze heures, du samedi après-midi à l’aube du lendemain, les prestations se sont enchaînées sur la scène du stade Demba Diop de Dakar, ce 31 octobre 1987, pour rendre hommage à Alla Seck décédé quelques mois plus tôt. Une quinzaine de milliers de spectateurs s’étaient déplacés pour l’occasion. De mémoire de Sénégalais, on n’avait jamais vu pareil rassemblement musical.

Afin de lever des fonds pour la famille du musicien disparu – au final plus de cinq millions de FCFA, une somme conséquente –, les principaux acteurs de la scène locale avaient répondu présents. Parmi eux, Baaba Maal et le Dande Leñol, Thione Seck et le Raam Daan, Ismaël Lo, le Super Diamono d’Omar Pene et Bob Sene, Doudou N’Diaye Rose, Ouza et ses Ouzettes, le Royal Band de Thiès... Et bien sûr, entrés en scène à 6 heures du matin pour clore l’événement, Youssou N’Dour et l’équipe du Super Etoile, bien décidés à honorer celui qui fut l’un des leurs, emporté par la fièvre typhoïde à seulement 32 ans.

La couverture médiatique de ce Mémorial Alla Seck ne manque pas non plus d’interpeler : Le Soleil, l’un des principaux quotidiens sénégalais, y consacre pas moins de six pleines pages dans autant de numéros !

Artiste unique

Hors normes à l’époque où elles se tiennent, ces célébrations reflètent la place occupée par le danseur-animateur vedette du Super Etoile, bien qu’il n’en soit pas le personnage principal sur le papier.

Ce statut inhabituel s’explique en partie par sa complicité et complémentarité avec le patron de l’orchestre : "À l’époque, Youssou N’Dour était très timide. Ce n’était pas encore la méga star qu’on connait aujourd’hui. Lors de son premier concert à Londres, au début de sa carrière, il tournait le dos au public", rappelle la Britannique Jenny Cathcart, ancienne productrice de la BBC qui avait accompagné le groupe sénégalais lors de sa tournée internationale en première partie de Peter Gabriel.

C’est elle qui a mis Alla Seck dans l’avion à Heathrow, alors qu’il était déjà malade, quelques jours avant qu’il soit emporté par la maladie à Dakar où il avait été hospitalisé après son arrivée.

Dans son ouvrage Notes d’Afrique paru en 2021, elle le décrit comme "un vrai original, un artiste qui apportait instantanément sur scène de la couleur soit en jouant des maracas soit avec ses pas de danse particuliers. Il s'exprimait non seulement avec sa remarquable voix rocailleuse sur un mode appel-réponse, mais aussi par la façon dont il s’habillait : chaussettes rayées ou boubou en patchwork qui montrait son allégeance au marabout Cheikh Ibra Fall. Il utilisait des proverbes wolofs profonds […] et il mimait des histoires, tendant la paume de sa main comme si c'était un miroir pour coiffer ses cheveux, ou prétendant demander l’heure à un passant en regardant sa montre. Alla aimait jouer le rôle d'un innocent kow kow (un paysan) tout juste arrivé à Dakar".

"Mon père pouvait danser dans un petit espace, presque sur place", indique Mara Seck, 36 ans, qui constate encore régulièrement que l’influence de son géniteur auprès de ses compatriotes n’a pas disparu avec le temps. Une exposition lui a même été consacrée lors de l’édition 2016 de la biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’Art).

Lorsqu’il a repris le flambeau, c’est par un titre intitulé Hommage à Alla Seck que Mara a tenu à démarrer sa carrière en 2012, avant de fonder en 2016 le groupe électro-sabar Guiss Guiss Bou Bess. "Il venait d’une famille de griots", précise encore le fils qui explique aussi que son géniteur a contribué à "décomplexer plein de gens coincés" et à démocratiser la danse, tant pour les hommes qui ne participaient pas aux sabars de rue (danse au son des percussions), que pour les femmes qui, hormis dans ce contexte populaire traditionnel, avaient jusque-là besoin d’être accompagnées, dans un Sénégal qui vibrait au son de la salsa venue de Cuba.

Parcours

Né à Gossas, à 150 kilomètres à l’Est de Dakar, Alla Seck a commencé très tôt à jouer des tambours dans les cérémonies. Conscient de ses prédispositions, il a continué à les développer dans la ville de Thiès, entre son village et la capitale, tout en apprenant les rudiments de métier de tailleur, qu’il part exercer ensuite à Dakar en s’installant dans le quartier d’Usine Ben Tally. Sans doute est-ce l’amour de la musique qui le mène au Miami, un établissement de nuit dirigé par Ibra Kassé, un Sénégalais revenu de France quelques années plus tôt.

L’orchestre maison, le Star Band, vient tout juste de voir le jour et va rapidement s’imposer dans le paysage musical local. Alla, vingt ans, y fait la connaissance de Youssou N’Dour, son cadet de quatre ans et déjà très remarqué pour sa voix. Les deux jeunes gens s’apprécient. "Alla intègre la famille N’Dour. Dès lors, il partage avec Youssou sa chambre, son lit et son plat", lit-on dans l’édition du 30 octobre 1987 du Soleil.

Avec le Star Band, il enregistre le tube Adioupe Nar et multiplie au micro les interventions pertinentes qui apportent une valeur ajoutée au mbalax encore en gestation. En 1978, il suit Youssou qui fonde l’Etoile de Dakar, puis le Super Etoile trois ans plus tard. Il est aussi à ses côtés à Bercy, en 1986, quand le chanteur français Jacques Higelin l’invite à se produire au milieu de son grand concert.

"Après sa mort, je me suis senti obligé de danser, parce que l’empreinte qu’il avait laissée sur ma musique était indélébile", assure Youssou dans Notes d’Afrique, soulignant la dimension souvent collective de la création artistique. Essentielle, pour être partagée par le plus grand nombre.