Khadja Nin
Le quatrième album de Khadja Nin sort dans les bacs le 7 octobre. Un disque intitulé Ya... (de vous à moi) et qu'elle présente comme une offrande. La Burundaise installée en Belgique y chante en swahili, langue commune aux Africains de l'Est, mais aussi en kirundi, parlée dans son pays d'origine. Deux ans après le gros succès public de "Sambolera", qui avait permis à la France de la découvrir, elle fait le point sur sa carrière. Entretien.
RFI Musique : Dans vos disques précédents, vous faisiez souvent référence à vos origines africaines. Ce nouvel album semble encore plus personnel, presque autobiographique...
Khadja Nin : C'est vrai. J'ai mis une part importante de moi-même dans les textes. Par exemple, dans cette chanson, "Like an angel". C'est un hommage très simple à toutes les femmes seules, aux mères en particulier. Et c'est un écho à ma propre histoire, puisque j'ai eu un enfant très jeune, que je suis devenue veuve dès 21 ans, et que j'ai dû élever mon garçon toute seule. C'est une situation difficile à vivre, on se sent souvent gêné par le regard des autres. Ceci dit, la chanson se veut sans amertume ni féminisme combattant.
Vous chantez la plupart des titres en swahili, une langue très répandue en Afrique de l'Est. Est-ce un choix délibéré pour vous adresser à tout le continent ?
Disons plutôt que c'est venu naturellement. Dès que j'ai commencé à écrire, les mots me sont arrivés en swahili. C'est une langue qui est née des commerces d'antan le long des rives de l'Océan indien, entre les Arabes et les autochtones, les Bantous. D'ailleurs, elle reste encore assez proche de l'arabe. Mais le fait d'écrire et de chanter en swahili ne fut pas forcément facile à faire accepter. Il m'a tout de même fallu cinq ans pour trouver une maison de disques, pour la convaincre que cette langue pouvait être intéressante commercialement. J'ai patienté... Et BMG a cru en moi. Mais vous savez, au fond, la musique n'a rien à voir avec la langue dans laquelle on chante...Je m'attache avant tout à l'émotion.
Depuis peu, vous chantez également en kirundi, la langue officielle du Burundi. Mais vous l'utilisez très peu. Pourquoi ?
Le kirundi est très nuancé, très sophistiqué, et je n'ose pour l'instant l'utiliser qu'au compte-gouttes, avec parcimonie. Je l'injecte à petites doses, dans les refrains surtout. Et puis les Burundais sont très critiques... Mais à terme, je chanterai sans doute autant en kirundi qu'en swahili.
Vous ne vous limitez pas à monter sur scène, vous collaborez aussi aux travaux de l'Unicef. Comment ?
Mon pays, le Burundi, est sous embargo depuis deux ans. J'ai eu la chance d'être contactée par l'Unicef, pour essayer d'aider, avec mes petits moyens, ceux qui sont réellement touchés, c'est à dire les enfants. Pour tacher d'alléger un peu leurs souffrances. Je ne suis pas une travailleuse de terrain, je sers plutôt d'amplificateur auprès des médias. J'ai visité par exemple des centres de malnutrition. Un embargo est terrible pour un peuple, il jette toute une population dans la détresse.
On retrouve d'ailleurs le même message dans votre reprise de Russians, une chanson de Sting...
Oui, c'est un titre magnifique, que j'essaye de restituer à ma façon, mais avec la même force que lui. Mes arrangements sont inspirés des maîtres tambours du Burundi. Quant au texte, j'ai effectivement voulu l'adapter. "Dam Ya Salaam", qui veut dire le sang du salut, ne parle plus des Russes mais de l'Irak, sous le coup lui aussi d'un embargo.
Le grand public français vous a découverte en 96, grâce à Sambolera mayi son, diffusé en boucle par une grande chaîne commerciale de télévision (TF1), et sponsorisé par une marque de café. Était-ce compatible avec votre démarche artistique ?
Bien sûr. Je n'y ai perdu ni mon âme, ni mon intégrité artistique. J'y ai vu au contraire une grande chance. Il faut bien comprendre que dans un pays comme la France, où la musique est régie par les quotas, j'avais très peu de chance que mes chansons soient diffusées. La proposition de TF1 était donc pour moi une opportunité extraordinaire de rencontrer un maximum de public en un minimum de temps. C'était prendre l'ascenseur plutôt que l'escalier. Et puis le fait de promouvoir du café ne me gênait pas du tout car c'est le seul produit que le Burundi exporte !
L'actrice Jeanne Moreau a réalisé le clip du single Mama. Comment s'est passée votre rencontre ?
J'avais entendu sa voix sur des spots Air France...et j'ai eu tout de suite envie qu'elle réalise mon clip. Tout mon entourage se moquait de mon entêtement, mais j'ai insisté, et je l'ai rencontrée. Nous avons très vite sympathisé. La réalisation était une expérience nouvelle pour elle. Le tournage s'est déroulé en trois jours aux Bouffes du Nord, un théâtre qu'elle affectionne pour y avoir beaucoup joué. "Mama" retrace les différentes étapes de la vie d'une femme.
C'est donc un thème qui revient souvent dans vos textes...
Oui, comme la guerre, l'embargo ou les enfants de la rue. Je ne sais pas écrire des chansons d'amour classique. Je préfère chanter les relations entre les mères et leurs enfants, l'amour d'une femme pour son pays, tout ce qui peut apporter de la richesse et non de la haine.
Vous signez également un hommage à Nelson Mandela. Un modèle pour vous ?
Absolument. Dans la vie, on a toujours besoin de repères. Moi, j'ai perdu mes parents très jeune, je n'avais personne pour me guider. Vivre en Belgique, dans un pays étranger, et y élever seule mon fils n'a pas été toujours facile. Parce que c'est quelqu'un de bien, qui a su rester fidèle à ses objectifs et ses convictions, Mandela est devenu l'un de mes guides.
Vous parlez d'un passé parfois sombre. Aujourd'hui, tout va mieux...
Tout va très bien ! Mon fils a grandi, il va avoir 20 ans, ma mission est au trois quart accomplie. Désormais, je me sens en transit. Mon rêve, c'est de rentrer chez moi.