Vieux Farka Touré met la scène en studio
Avec une continuité troublante, Vieux Farka Touré a repris depuis onze ans le flambeau laissé par son père, figure internationale de la musique malienne disparue en 2006. Le jeu de guitare du fils cadet d'Ali Farka, surnommé le Hendrix du Sahara, est devenu une référence. Son nouveau projet Samba, enregistré aux États-Unis lors des Woodstocks Sessions selon le principe du concert en studio, restitue au plus près ce qui en a fait la réputation, entre subtilités blues, chaleur, transe et puissance. Rencontre.
RFI Musique : Vous venez de donner une série de 26 concerts aux États-Unis en cinq semaines. Les Afro-Américains s’intéressent-ils autant que les autres à votre musique ?
Vieux Farka Touré : Il faut savoir que ma musique est un peu compliquée : les Afro-Américains aiment bien le reggaeton, les musiques de ce genre, et les Africains qui vivent là-bas aussi. Ou alors ils aiment les griots qui viennent dire : "ton papa est gentil, ta maman est jolie". Moi, je ne fais ni l'un ni l'autre. Donc les gens qui viennent à mes concerts, c'est juste pour écouter la musique. Du coup, je me retrouve dans des salles sold out. Mais aucun Noir ! Parfois un ou deux, accompagnés par une Blanche... Quand je joue en France, c'est un peu ça aussi. Pourtant, à Paris il y a beaucoup de Maliens, mais c'est quand le concert est passé que tu les vois : "j'avais oublié", "je voulais venir"... Je comprends : la musique, c'est un choix.
Au début de votre carrière, vous êtes-vous posé des questions en faisant ce constat ?
Oui, je me suis demandé pourquoi ils ne venaient pas. J'avais envie de voir quelques personnes de ma communauté. J'ai même beaucoup invité de Maliens, donné le nombre de tickets qu'ils me demandaient pour qu'ils soient là. Mais ils ne venaient pas... Chez nous, on a cette culture : les gens veulent que tu dises leur nom, que tu chantes pour eux... Mais je ne sais pas faire ça, je ne suis pas un griot. Du coup, ils s'intéressent moins à mes concerts, même s'ils ont acheté l'album et l'écoutent chez eux ou dans leur voiture. Mais c'était déjà comme ça au temps de mon père. Les Maliens ne se sont intéressés à lui qu'à partir du moment où il a eu le Grammy Award. Il faut avoir du succès ailleurs pour être respecté chez toi.
Les dix nouvelles chansons de votre album Samba ont la particularité d'avoir été enregistrées en live, dans le cadre des Woodstock Sessions. Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce concept ?
Mon manager m'avait dit une fois que ce serait bien que l'énergie que je dégage sur scène se retrouve sur album. Il a cherché et on a trouvé ce concept des Woodstocks Sessions, live en studio avec du public. Une année est passée, le temps de préparer le projet et de travailler ses morceaux qui sonnent vraiment bien en live, et que je n'avais pas déjà enregistrés, même si on a joué quelques-uns déjà sur scène avant – certains étaient déjà faits avant l'album Mon Pays. Quand tu écoutes l'album, tu sens qu'il y a un petit stress parce que le public est là. Il y a une très grande attention par rapport au jeu, au chant, à tout. Il faut que ça dégage de la chaleur. Et tu as la pression, parce que c'est un album qui doit sortir. Il faut contrôler tout ça et essayer de donner le maximum que tu peux. C'est cette sensation que tu as quand tu écoutes l'album.
La référence au tube I Shot de Sheriff de Bob Marley est clairement revendiquée sur votre chanson Homafu Wawa. Pourquoi ce clin d'œil ?
Nous sommes un peu des rastas. Pas avec des dreadlocks, mais rasta dans la vie. J'aime bien Bob Marley et c'est un titre que j'ai écouté depuis mon enfance et on le jouait il y a des années. C'est mon bassiste qui, en premier, a vu qu'on pouvait mettre cette intro sur notre morceau, et on l'a gardée. Et ça va bien avec, car l'intro répond au titre, un peu révolutionnaire dans l'esprit. Un hommage au Mali pour le garder tel qu'il est.
Pourquoi l'album s'appelle-t-il Samba ?
Samba, c'est moi. Le deuxième garçon de la famille, on l'appelle Samba. La chanson dit : "Samba ne se cache pas, Samba n'a pas peur, il n'a pas peur." C'est un peu un hommage à tous mes grands-pères qui chantaient ça et avec qui je m'amusais chaque matin, dans mon enfance, parce qu'ils venaient tous déjeuner chez mon papa. Ce sont des choses qui restent dans la tête.
Les souvenirs sont-ils souvent une source d'inspiration, pour vous ?
Les chansons me viennent sans que je sache d'où. Elles frappent à ma porte pour me dire de prendre ma guitare, de jouer et tout va venir. Là, je prends un dictaphone, et j'enregistre ce que je joue et je chante. Quand je sais que c'est dans la boite, je le laisse. Plus tard, je le reprends. Il me faut parfois six mois ou un an pour traiter une seule chanson, voire quelle forme lui donner : acoustique, électrique, reggae... En général, j'ai fini le contenu de l'album avant de le donner à mes musiciens !
Vieux Farka Touré Samba (Six Degrees Records) 2017
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