Le feu de Valérie Ékoumè
Avec ses tresses dressées en arcs de cercle sur sa tête, ses grosses lunettes, son large sourire et son franc-parler, Valérie Ékoumè ressemble à sa musique : un esprit joyeux et sincère. À 40 ans, cette chanteuse camerounaise, qui a forgé sa voix auprès de Manu Dibango, Coco Mbassi, Youssou Ndour, MC Solaar, Maceo Parker, Kofi Olomide ou Passi, revient aujourd’hui avec Kwin na Kingue, son deuxième disque. Sur ses pistes, elle mêle bikutsi, makossa, rumba, etc. : un cocktail explosif d’afropop qui lui ressemble et retrace ses itinéraires. Entretien.
RFI Musique : Votre disque s’ouvre sur le titre Faya, le "feu", votre surnom quand vous étiez enfant. Pourquoi votre famille vous appelait-elle ainsi ?
Valérie Ékoumè : J’étais débordante d’énergie, avec un tempérament de feu. Aujourd’hui, ma fille affiche le même caractère. Et ma mère rigole : un juste retour de karma ! J’avais un truc qui brûlait au fond de moi, une âme d’artiste !
Où avez-vous grandi ?
Entre la France et le Cameroun. Je suis née en France, de parents assez jeunes, qui se sont séparés peu après ma naissance. Ma mère, qui m’élevait seule, m’a envoyée au Cameroun, auprès de mes grands-parents, afin de poursuivre ses études. Je suis revenue en France à l’âge de cinq ans. Puis, ma mère, à l’esprit bohème, a décidé, un beau matin, sur un coup de tête, que nous repartions au Cameroun. J’avais huit ans. Je me rappelle avoir tournoyé sur moi-même comme une folle en poussant des cris de joie : "On retourne au Cameroun !" Puis je me suis recouchée… Je suis revenue en France à 13 ans, et j’y ai poursuivi ma scolarité.
Que vous a apporté cette enfance entre deux cultures ?
Ce n’était pas toujours évident. En France, le froid m’a tapée sur le système. Et puis, c’était difficile, cette transition entre le Cameroun, où je grandissais à l’air libre, et les barres d’immeubles de Créteil. Dans les deux pays, on n’avait pas les mêmes façons de s’habiller. À l’école, en France, on m’appelait "La Fille du Président", sûrement à cause de ma manière de parler… Dans le même temps, c’était une richesse ! Tu comprends tôt à accepter les différences, mais aussi à percevoir les similarités. Tu apprends que le plus important, c’est l’amour qui relie les gens : une force que j’exprime dans ma musique.
Quels sont vos premiers souvenirs ? Premiers sons, premières couleurs ?
J’ai énormément de souvenirs au Cameroun, peu en France. Je me souviens des marchés avec ma grand-mère. Celle-ci, couturière, recevait ses clients à la maison. Je me cachais alors sous la table, épiant leurs conversations. Je me rappelle avoir regardé les étoiles au Cameroun, et m’être demandé pourquoi il y en avait autant…
La musique qui berçait votre enfance ?
Ma mère écoutait de la soul, de la rumba congolaise, de la musique camerounaise, du jazz, Michael Jackson, Madonna. Ado, j’écoutais Tevin Campbell, Charles Aznavour, Michael Bolton : le tourne-disque fonctionnait à plein tube !
Votre famille se compose de nombreux musiciens…
Oui, ma tante Kaïssa Doumbé, choriste aux côtés de Manu Dibango, Salif Keïta et Papa Wemba, a sorti deux disques sous son nom. L’un de mes oncles était chef d’orchestre de Miriam Makeba. Un autre, bassiste, accompagne les Nubians ! C’était une évidence, pour moi, de choisir cette voie.
Vous avez eu aussi deux coaches vocales, sur cassettes : Miriam Makeba et Whitney Houston…
En effet, j’ai dû traumatiser ma famille en hurlant pendant des heures I will always love you ! Comment ne m’ont-ils pas jetée par la fenêtre ? Mystère. L’apprentissage se fait dans la répétition et… dans la douleur ! (rires) Pour moi, Whitney Houston comme Miriam Makeba représentent l’absolue sincérité. J’ai vu les deux sur scène – Makeba en Afrique du Sud et Houston à Bercy –, et je pouvais lire sur leur visage que ce n’était pas du jeu !
Le chant a-t-il toujours été une évidence pour vous ?
Oui ! Par exemple, je détestais faire la vaisselle. Mais astreinte à cette tâche, écouteurs vissés sur les oreilles, je chantais dans la cuisine. À tue-tête ! Avec ma tante, j’ai effectué ma première session studio vers 15 ans. J’avais aussi un groupe de cinq filles, a capella, avec lequel on a fait la première partie de Pow woW. Le chant m’apaise. Un part de moi !
Finalement, vous avez quitté un apprentissage « instinctif » pour intégrer une école de jazz, l’American School. Pourquoi ?
Je voulais développer la confiance en moi. J’étais consciente de mes lacunes ; or, soit tu les combles, soit tu les traînes. Je voulais communiquer de façon fluide avec mes musiciens, pouvoir définir avec précision quelles notes, quels rythmes je désirais. Et surtout, je revendiquais l’indépendance. J’ai eu une expérience professionnelle malheureuse avec un homme qui m’a laissé un goût amer… Difficile d’être une femme dans la musique ! Comme chanteuse, on te promet parfois monts et merveilles, tu peux perdre ton chemin. Le fait de se professionnaliser, musicalement aussi, permet de t’approcher de ce que tu es, de définir ce que tu veux.
Vous avez aussi travaillé comme choriste aux côtés du maître Manu Dibango. Une sacrée école ?
Bien sûr ! Manu m’a appris la rigueur. Tu arrives dans un cadre où tout est carré. Tu sais à la perfection ce que tu dois faire, à quel moment. À contrario, tu apprends que rien n’est figé. Contre toute routine, il peut, à tout moment, emprunter une autre route. Si tu rates le train, tant pis pour toi ! Etre choriste, ça t’apprend la précision : à écouter l’autre, à t’ajuster à ta collègue. Avec Manu, on faisait les sections cuivre avec la bouche. Un défi !
Vous avez sorti votre premier disque, Djaale, en 2015, et aujourd’hui Kwin na Kingue. Comment pourriez-vous définir votre style ?
Je compose de l’afropop, c’est à dire de la musique populaire d’Afrique, dans la lignée de Manu. Mon art mélange rumba, makossa, bikutsi, esséwé : un grand cocktail pour faire danser !
À quelles difficultés vous êtes-vous confrontée pour composer ce disque ?
Dès le premier disque, ma difficulté majeure était linguistique. Je tenais à écrire en douala, la langue de mes parents, mais je ne la maîtrisais pas totalement. Avec dictionnaire et conseils, je me suis débrouillée !
Que racontez-vous dans vos textes ?
Je parle de l’évolution de l’Afrique… J’évoque la situation des migrants… J’essaie aussi de valoriser l’histoire des peuples noirs. Je ne veux pas que ma petite fille puisse penser que nous en sommes dépourvues… Et en premier lieu, je parle de l’amour solide qui nous unit tous !
Valérie Ékoumè, Kwin na Kingue (val2valprod) 2017
Page Facebook de Valérie Ékoumè