Fatoumata Diawara, dame au Mali

La musicienne malienne Fatoumata Diawara. © Aida Muluneh

D'abord connue comme actrice au Mali, Fatoumata Diawara revient à la musique avec Fenfo. Dans ce deuxième album chanté en bambara, elle confirme qu’elle a des choses à dire. Alors que la France l’a découverte aux côtés de -M-, en tant que voix africaine de Lamomali, cette femme solaire, révèle un caractère bien trempé.

Elle le dit volontiers, elle rit de tout, elle pleure de tout. Entre temps, Fatoumata Diawara chante pour se faire du bien et faire du bien aux autres. C’est ce que raconte sa voix au timbre légèrement éraillé. "J’ai commencé à chanter pour moi, pour me consoler, raconte la jeune femme âgée de 36 ans. La musique a été ma mère, elle a été mon père, elle a été Dieu. Soudain quand je chante, je trouve un sourire que je n’ai pas dans la vie quotidienne – en fait, je m’ennuie la plupart du temps. Il y a une fleur qui s’ouvre en moi, c’est source d’ouverture…"

Ce chant lui a servi à surmonter le décès d’une grande sœur, Awa, si bien qu’il est longtemps resté "une histoire entre (sa) sœur et (elle)". L’enfant envoyée par ses parents chez une tante actrice au Mali admet avoir été difficile pour sa famille. Très cadrée, elle a trouvé une échappatoire dans le cinéma. Alors qu’elle accompagne sa "tantie" sur un plateau, on remarque son sourire radieux et la voilà partie pour festival de Cannes, où le film La genèse est sélectionné dans la catégorie Un certain regard. Fatoumata enchaîne les rôles au cinéma à partir de l’adolescence.

Du cinéma à la musique

"Je suis une immigrée, mais heureusement, j’ai eu la chance d’avoir deux papas exceptionnels, dit-elle. Mon premier papa est Jean-Louis Sagot-Duvauroux, qui m’a adopté de suite lorsqu’il m’a vue sur le plateau de La genèse et m’a payé des études. Et puis, à mes 18 ans, j’ai eu le directeur du Royal Deluxe, qui m’a dit : 'Ok, tu as vécu au Mali. Maintenant, il faut que tu voyages, que tu t’émancipes en tant que femme. Tu as trop de talent pour rester dans un environnement où il y a trop de poids sur toi.'". Elle fuit un mariage forcé avec un cousin et s’engage au sein du Royal de Luxe. C’est à ce moment que son chant s’exprime dans les spectacles de la compagnie.

Le monde de la musique ne va pas tarder à tomber sous le charme de sa voix. Le patron du prestigieux label World Circuit, Nick Gold, produit son premier disque. Puis elle enchaîne des collaborations avec le soulman Bobby Womack, l’Africa Express de Damon Albarn, et le pianiste cubain Roberto Fonseca, sans compter son rôle dans le film Timbuktu. Lorsque -M- l’invite sur son disque africain, Lamomali, Fatoumata devient l’incarnation de la femme africaine. "Je devais faire mon album avant, mais j’ai choisi Lamomali. Cela a été une transition pour moi, parce que j’ai rencontré un frère, un ami, un confident. Matthieu (Chédid) est devenu très important dans ma vie, il me soutient jusqu’à aujourd’hui."

"Beaucoup à dire"

Ce deuxième album album, Fenfo, qui signifie "beaucoup à dire" en bambara, "c’est moi", affirme-t-elle. Co-producteur de ce disque enregistré sur la route, Matthieu Chédid a mis sa personnalité en sourdine. "En laissant la place à ma voix et à des instrumentations simples, il m’a vraiment impressionné. Il a été très élégant", souligne-t-elle. C’est donc ce chant qui a pris toute la place, au côté de guitares et de percussions presque futuristes. Quant à la langue, toutes les chansons sont en bambara, à l’exception notable du single Ntereni, qui recèle quelques mots d’anglais.

Même si elle le fait avec douceur, les thèmes abordés par Fatoumata Diawara n’ont rien de tout à fait léger. Elle traite des migrations sud-nord (Nterini), du poids des traditions (Kanou Dan Ye) ou d’un continent africain qu’elle incite à relever la tête. "Il y a toujours un message derrière mes chansons, même si cela paraît banal. Dans Kokoro, quand je dis : 'Ma sœur, arrête de t’éclaircir la peau avec des produits chimiques pour ressembler aux blancs. Ma sœur, arrête de te couvrir la tête pour ressembler aux Arabes', ce sont mes douleurs. Ce sont mes inquiétudes en tant que femme africaine. Au Mali, depuis quelques années, on nous menace, on nous dit qu’il faut nous couvrir la tête parce que Dieu l’aurait décrété. Je suis désolée, mais il ne faut pas nous recoloniser ! Nous ne sommes pas si bêtes ! Donc, ce que je dis, c’est : 'T’es qui, toi, en tant qu’Africain ?'", affirme cette musulmane pratiquante.

Si elle affiche un sourire radieux lorsqu’elle chante, elle peut aussitôt se rembrunir quand le sujet l’indigne. Il n’est pas question de tricher pour celle qui incarna la sorcière Karaba dans la comédie musicale Kirikou et Karaba, et s’est un peu identifiée à ce personnage. "C’est une partie de moi, la femme dure, concède-t-elle. Je suis née en Afrique. Je n’étais pas conditionnée pour être ce que je suis aujourd’hui. Et je me suis battue pour cela, je me suis enfuie. J’ai tourné le dos à ma famille, et je suis partie à l’aventure, toute seule, sans l’accord ni le soutien de personne. Ce qui ne se fait pas chez nous, quand on est une femme. À partir de ce moment, ça a été une renaissance pour moi, mais tu ne peux pas pleurer pour te plaindre."

Après ce Fenfo audacieux, qui prolonge parfaitement sa discographie, Fatoumata la battante promet de revenir rapidement à un nouvel album. Elle qui sera prochainement à l’affiche du film Toucouleur avec Omar Sy croit en sa bonne étoile, et nous aussi.

Fatoumata Diawara Fenfo (3ème Bureau/Wagram) 2018

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