Vaudou Game et la magie du studio ressuscité
Pour son troisième album, le groupe Vaudou Game est parvenu à remettre en service ce qui fut l'un des studios d'Afrique de l'Ouest les mieux équipés dans les années 80. Otodi, acronyme de l'Office togolais du disque dont ce lieu d'enregistrement était l'emblème, fait résonner un afro-funk authentique. Entretien avec le chanteur et musicien togolais Peter Solo, l'âme de ce projet, autant musical que culturel, basé en France.
RFI Musique : Qu'est-ce qui vous a mis sur la piste de ce studio inactif depuis des décennies au Togo et vous a donné envie d'y enregistrer votre nouvel album ?
Peter Solo : Mon oncle, Roger Damawuzan, avait déjà enregistré dans ce studio, dont on a parlé quand son album de chansons anciennes est sorti il y a quelques années. Il disait que seul Vaudou Game pouvait permettre à ce studio de rouvrir, de reprendre sa forme et sa vision d'avant. Je me suis dit que je ne pouvais pas galérer pour trouver du vieux matos en France afin d'enregistrer mes albums analogiques alors que chez moi, au Togo, il y a la même référence de studio qu'on peut trouver à Londres, à Tokyo ou à Paris ! Parce que c'est la même entreprise, Scotch, qui a fait le studio Davout à Paris (fermé en 2017 et démoli depuis) et celui d'Otodi. C'est le même maître acousticien du moment qui a été sollicité, c'est le même matériel, le même isolant. Il y avait tout pour faire de la bonne musique dans ce gros studio. Les orchestres de rumba congolaise, le Rail Band, Manu Dibango sont passés là-bas.
Aviez-vous déjà eu l'occasion d'y jouer avant de quitter votre pays ?
Quand j'étais là-bas, on passait tous devant ce bâtiment, mais il était gardé par des militaires et on ne pouvait pas entrer. Il avait été fermé par le régime en place. Ce studio était une contrepartie de ce que le Togo avait donné aux États-Unis à ce moment-là. Au lieu de demander une caserne ou un hôpital, on a voulu un studio d'enregistrement. C'est Gérard Akueson, producteur dans les années 1970 de Bella Bellow et de pas mal d'artistes qui vit aujourd'hui à Paris, qui a géré ce studio, en collaboration avec Nel Oliver, un des chanteurs connus du Bénin à cette époque. Mais après quelques années, lorsque le président de la République Eyadema – le père de celui qui est en place aujourd'hui – leur a demandé de venir rendre compte, ils ont tous disparu ! Et comme ils n'étaient pas au rendez-vous, le président, énervé, et qui était un militaire, a ordonné de fermer tout ça là ! Donc après tout le monde a enregistré ailleurs, sur le quatre-pistes de l'Orchestre Sassamaso, alors qu'il y avait un grand studio à côté !
Comment s'est passée la remise en service, après tant d'années sans fonctionner ?
Le premier magnéto à bande qu'on a branché, c'est de la fumée qui en est sortie ! Il a commencé à tourner et puis tout à coup il a pris feu. Heureusement qu'on avait le deuxième, nettoyé par un électronicien qui a ressoudé pas mal de choses. On avait amené une entreprise de ménage qui a travaillé durant trois jours : les moquettes n'avaient plus de couleur, c'était poussiéreux. Mais tout était là. Les vieux instruments : Hammond, piano à queue... Quatre magnétos à bande, deux vingt-quatre-pistes, deux deux-pistes pour le mixage. Quand j'ai vu les micros, j'ai crié. Ils coûtent très cher aujourd'hui. Ils dormaient là-bas dans des toiles d'araignées. C'était la caverne d'Ali Baba. C'était vraiment très émouvant. Mon ingénieur du son, Patrick Jauneaud, avait travaillé à Londres dans le même studio avec Elton John. Lorsqu'on est entré dans la cour et qu'il a vu la porte, il a dit : "Je connais cette poignée-là." Et une fois dedans, on a vu tout ce qu'il nous avait annoncé ! Il nous a expliqué comment ça a été construit, les quantités de laine de bois dans les murs, la profondeur...
Le poids de l'histoire de ce studio s'est-il ressenti durant l'enregistrement ?
D'abord, on a consulté. On a invoqué. Pour que toutes les mauvaises énergies qui étaient stockées dans ce studio puissent laisser la place à des énergies positives. Avec des feuilles qu'on utilise pour pouvoir purifier le lieu. Il fallait épurer, après la façon dont il avait cessé de fonctionner. Et ensuite, l'énergie limpide qui était dans les murs est ressortie. Comme la chaleur ! On n'avait pas de climatiseur, alors on enregistrait presque à poil ! Pendant les pauses, on allait dans la cour, cueillir quelques mangues et noix de coco. Le gardien, qui avait vu comment ça se passait à l'époque et qui était toujours là, nous racontait. Donc on était en lien, en communion avec nos aînés qui sont passés là-bas. On pensait à eux, à leurs vibrations.
Si le son de ce studio fait office de dénominateur commun, on note un peu plus de diversité dans votre répertoire, avec notamment des titres afro-disco à côté de vos références à James Brown. Quelle était votre intention, sur le plan musical ?
Apporter autre chose, sans dénaturer les fondements de Vaudou Game, parce que la funk n'est pas une mode pour nous. Donc il y a des violons par exemple. Et beaucoup de morceaux en français. C'est un risque que j'ai pris. Quand j’écris, ça me bouffe le ventre, le corps... Les gens ne se rendent pas compte de la difficulté de la chose. Dans ma langue, je trouve une facilité, mais dès que je remets tout en français, ça devient pâle, et il faut trouver un groove à la chose. Et d'un autre côté, comme tout le monde au Togo ne parle pas français, je suis vu comme quelqu'un qui est vendu, qui n'est pas fier de sa langue.
Vous avez enfin pu jouer dans votre pays en 2017, puis vous êtes revenu à l'Institut français de Lomé pour un workshop en avril 2018. Que vouliez-vous faire passer ?
Le but, c'est de parler de ce que je fais en France. Les jeunes voyaient la chose de loin, en se disant que c'est de la musique de Blancs. Il fallait leur expliquer la gamme du vaudou sur laquelle je me base pour la création, qui est l'harmonie chantée pendant les rituels vaudous là-bas, que j'ai étudiée, transformée, pour pouvoir parler du Togo, du Bénin, du Ghana, de cette sous-région. Ils ne connaissent pas vraiment le vaudou qui est encore considéré dans cette région comme quelque chose de maléfique, de satanique. Ils n'en voient pas les bienfaits, étouffés par ces pasteurs vautours qui sont en train de vendre le bonheur. Je voulais leur dire de défendre le vaudou, sans avoir honte, de ne pas avoir de mépris. Parfois, c'est en quittant ton pays que tu connais mieux ta culture.
Vaudou Game Otodi (Hot Casa record/Big Wax) 2018
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