La transition énergétique musicale de Kel Assouf
La liberté du désert, la puissance du rock : Black Tenere, troisième album de Kel Assouf, libère les énergies emmagasinées par le Nigérien Anana ag Harouna et ses deux complices. Un pas de plus pour arrimer la musique touarègue sur la scène internationale.
Sur scène, il troque désormais volontiers le chèche pour un panama. Tant pis pour l'image stéréotypée qui confine parfois au folklore et colle aux groupes du désert comme les dreadlocks aux reggaemen jamaïcains, quelque part entre exotisme revendiqué et affirmation d'une forme d'authenticité.
Anana ag Harouna, le fondateur de Kel Assouf, partage avec son compatriote nigérien Bombino, autre artiste de renom, une approche ouverte de la musique touarègue, ou plutôt "kel tamasheq", popularisée par les mythiques Tinariwen qui ont servi de référence et de point de repère à bien des musiciens du désert au début de leur carrière, avant que chacun trouve sa propre voie.
Sans doute son installation en Belgique depuis une douzaine d'années, et ce qu'elle implique en termes de rencontres artistiques, participe-t-elle aussi de cet état d'esprit qui l'a amené à faire évoluer sa musique au fil du temps.
Pour Black Tenere, troisième album du groupe, les effectifs ont été réduits. La formule retenue ? Celle du trio. "Plus de liberté, plus de puissance", dit en substance le chanteur guitariste. À ses côtés, le batteur belge Olivier Penu et le claviériste tunisien Sofyann ben Youssef, qui assure aussi les basses.
Ce musicien polyvalent et inventif, déjà repéré entre autres avec Bargou 08 et le projet Ammar 808, est devenu un élément clé du dispositif musical de Kel Assouf depuis Tikounen, le précédent disque, tant en termes artistiques que de production (il a à la fois arrangé et mixé les neuf chansons).
Il a su révéler le potentiel rock que possédait le répertoire du Nigérien, et lui donner les moyens d'aller encore plus loin cette fois-ci, apportant au passage un niveau de basses guère entendu dans ce genre musical, notamment sur Fransa, qui évoque les luttes coloniales avec la France au cours des XIXe et XXe siècles.
Dans ce nouveau décor musical, Anana a la sensation de pouvoir davantage s'exprimer avec son instrument. Il n'hésite pas à laisser sa guitare l'emmener dans ses souvenirs nomades, sans se soucier des formats, comme sur Ariyal, le plus long morceau du CD, avec son intro de près de quatre minutes. L'énergie parfois se canalise, à l'image de Tamatant, qui contraste avec son environnement immédiat.
Si la nostalgie – que le groupe revendique puisque son nom y fait référence – imprègne chacun des titres, l'album se distingue aussi sur un autre plan, de plus en plus évident au fur et à mesure qu'il se laisse découvrir : la place laissée à l'improvisation collective, celle qui n'est possible qu'en faisant confiance à ses sensations et à ses partenaires de jeu.
Kel Assouf Black Tenere (Glitterbeat Records/Differ-ant) 2019