Youssou N’Dour, une histoire sénégalaise

Avec "History", Youssou N'Dour mêle les musiques urbaines au mbalax. © Youri Lenquette

Avec History, Youssou N'Dour mêle les musiques urbaines au mbalax. À 59 ans, l'artiste sénégalais se vit toujours comme un "trait d’union" entre plusieurs musiques et plusieurs mondes. Mais quoi qu’il arrive, ce grand chanteur demeure fidèle à son pays, le Sénégal, à sa ville, Dakar, et au Super Étoile, le groupe dont il est l’heureux leader depuis plus de 35 ans maintenant.

Ce jeudi-là, on le retrouve dans les locaux de RFI, mais dans quelques jours, Youssou N’Dour sera à nouveau à Dakar, la ville où il vit depuis toujours. "Si je pouvais expliquer cela… Je suis comme un pêcheur, qui quitte les côtes sénégalaises. Je vais pêcher mais je suis sûr de revenir avec un poisson que les Sénégalais vont déguster en disant : 'Oh, c’est une bonne pioche.' Même si je vais vibrer avec Ryuichi Sakamoto au Japon, je réécoute cela et sans que je change quoi que ce soit, les Sénégalais aiment. Je n’ai jamais habité ailleurs et je n’ai rien contre les gens qui ont décidé de vivre ailleurs et d’apporter des choses autrement. Mais je reste ce pêcheur-là, qui revient toujours chez lui", constate-t-il.

C’est de cette façon qu’il faut lire le parcours du "roi du mbalax". Véritable ambassadeur du Sénégal dans le monde entier, c’est une star dans un pays où il est ministre-conseiller du président Macky Sall, tout juste réélu pour un second mandat. À 59 ans, celui qui fut un éphémère ministre de la Culture et du Tourisme est revenu à sa passion première, la musique, et il fait paraître, History, un nouveau disque dans lequel son répertoire se frotte aux musiques urbaines. Attention, il ne s’agit pas d’une conversion complète au r'n'b mais, dans ce disque destiné au marché international, sa fusion se nourrit de sonorités amenées par une nouvelle génération de musiciens ayant baigné dans le hip hop.

Une touche d'Auto-Tune

À l’écoute de ce changement de forme, on peut se poser la question. Pourquoi un tel chanteur a-t-il utilisé l’Auto-Tune, alors qu’il n’en a pas besoin ? Et surtout, à quelles fins avoir recours au logiciel de correction vocale préféré des rappeurs? "L’Auto-Tune, c’est très léger. C’est sur 2 % à peine de ce disque, pour des raisons de modernité, répond-t-il. J’ai reçu une chose d’un philosophe, un marabout et un saint qui s’appelait Cheick Sy Tidiane Al Makhtoum. Il disait que c’est très bien de ressembler à son père, mais que c’est mieux de ressembler à son époque. Ce message m’a toujours suivi. Il y a une certaine réalité de la musique urbaine africaine aujourd’hui, avec des jeunes qui font des choses extraordinaires et qui vont parfois chercher des choses américaines. C’est la jonction de mélodies comme Salimata avec de jeunes arrangeurs qui a fait naître l’album History."

Ce disque produit par l’Américain Matt Howe (Lauryn Hill, Mariah Carey, Madness…) débute par un hommage joyeux à Habib Faye. Le bassiste du Super Étoile, décédé en avril 2018, était un grand ami de Youssou N’Dour qu’il aura accompagné jusqu’au firmament de la musique sénégalaise et de la world music. "Avec Habib, on a même vécu ensemble. Quand j’ai quitté la maison familiale et que j’ai eu l’autorisation de mon père pour vivre seul au début de ma carrière, c’est à Habib que j’ai demandé de venir avec moi. On a fait le tour du monde plusieurs fois et on a rencontré les gens ensemble. À un moment, il a eu des projets solo, on s’est perdu, et puis on s’est retrouvé après. Il est parti comme ça... Au mois d’avril dernier, quand il est mort, je n’ai fait que penser à lui. Il était évident que si je faisais une chanson ou quelque chose, c'était pour lui", raconte-t-il, la voix pleine d’émotion. La chanson figurait déjà sur Respect, un disque destiné au marché sénégalais paru en fin d’année dernière et on n’en est pas étonné.

Des chansons célèbres de son répertoire

Pour History, Youssou N’Dour reprend quelques-unes de ses chansons célèbres dans de nouvelles versions. C’est avec la chanteuse suédoise de r'n'b, Seinabo Sey, qu’il partage un Birima qui devient comme une réminiscence au cœur l’histoire personnelle de la jeune femme. "Au départ, Birima n’était pas ma cible pour une reprise. Mais c’est la rencontre avec cette jeune fille, Seinabo, qui a changé les choses. Elle a vécu avec cette chanson. Elle est métisse suédoise d’origine gambienne et sénégalaise. Elle m’a proposé cette version dans laquelle elle raconte des choses sur son père, et cela m’a bouleversé. J’ai décidé de le mettre dans l’histoire qui était en train d’être construite", raconte-t-il. Parmi ces rencontres, il y a aussi celle d’un neveu du musicien nigérian Babatunde Olatunji, qui lui a donné accès aux chansons inédites de son parent ; elles sont utilisées sur deux morceaux.

Mais s’il y a une histoire à retenir autour de Youssou N’Dour, c’est l’incroyable fidélité qui le relie à son orchestre, le Super Étoile de Dakar. Sur celle-ci, le chanteur affirme : "Mais c’est normal ! J’étais dans un groupe qui s’appelait l’Étoile de Dakar, et je décide de partir en solo, parce qu’il commençait à y avoir des tensions sur la direction artistique à suivre. Il y avait alors d’autres chanteurs, tout le monde était égal dans le groupe. Mais 48 heures après, la majorité du groupe laissait l’Étoile de Dakar, en me disant qu’ils préféraient aller avec moi, même en acceptant un changement de statut. De fait, j’étais devenu le chef d’orchestre de l’Étoile de Dakar, qui continuait seulement. Et peut-être que Dieu m’a aidé à garder ce groupe, qui est le plus constant au monde depuis plus de 30 ans maintenant."

Sur scène, ce groupe fait corps, alors, avec cette voix d’une puissance inouïe, une voix qui porte en elle un pays tout entier. 

Youssou N'Dour History (Believe Digital/Naïve) 2019

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