Tour d’horizon du marché musical sénégalais
Le Dakar Music Expo se poursuit jusqu’au 2 février et c’est aussi l’occasion de faire un point sur l’ensemble des problématiques du marché musical sénégalais, avec le concours de Doudou Sarr, grand connaisseur de ce secteur, manager de Youssou N’Dour et entrepreneur culturel.
RFI Musique : Le mbalax est la fondation de la musique sénégalaise actuelle. Grâce à Youssou N’Dour, c’est un genre musical qui a su s’exporter. Est-ce qu’aujourd’hui, c’est une musique qui s’exporte ?
Doudou Sarr : C’est vrai que depuis une bonne dizaine d’années, on n’a pas vu un autre chanteur de mbalax que Youssou N’Dour rayonner sur le plan international. Mais il y a des Sénégalais qui sont basés un peu partout dans le monde et qui arrivent à vivre de leur musique, dans d’autres genres musicaux. Baaba Maal ne fait pas de mbalax à proprement parler, c’est la musique inspirée de son patrimoine culturel fulani, mais il tourne beaucoup. Ismaël Lô qu’on a surnommé "le Bob Dylan sénégalais" lui aussi tourne beaucoup. Donc il n’y avait pas que le mbalax qui s’exportait mais c’est la musique populaire nationale qui domine ici au Sénégal.
Elle a beaucoup de mal à se vendre en dehors du pays, d’où la nécessité de réfléchir sur un renouvellement ou une réinvention de ce genre. Et d’augmenter la créativité au niveau de la musique pour aller dans d’autres genres musicaux qui pourraient, eux, s’exporter. Ça, c’est si on a envie d’exporter parce qu’il y a des artistes qui sont satisfaits sur le plan local. Les Américains disent toujours que : "ton marché local est ton meilleur marché". Il y a beaucoup d’artistes qui, ici, n’ont pas besoin de s’exporter parce qu’ils marchent bien, surtout dans le cas du mbalax. Il y a une nouvelle génération qui cartonne ici et je ne sais pas s’ils ont envie d’aller s’exporter, auquel cas, il faudrait qu’ils révisent un peu la formule musicale. Mais sur le plan local, cette formule mbalax marche très bien.
Ce qui prévaut aujourd’hui sur le continent, ce sont des genres comme l’afropop ou l’afrobeat. Ont-ils une audience au Sénégal ?
Je dis qu’avec l’afropop pour la première fois, et avec l’aide d’Internet et des réseaux sociaux, on a su vulgariser une musique populaire, une musique de club, une dance music en Afrique. C’est de la musique qu’on retrouve dans tous les clubs, que ce soit à Dakar ou à Johannesbourg, Nairobi ou Lagos, c’est à peu près le même son. C’est une première en Afrique et c’est très bien. Ça a une force sur tout le continent et avec l’avènement de ces classes moyennes africaines, on a une transaction, on a des artistes qui peuvent aller monnayer leurs talents, faire des concerts et faire des entrées payantes. Par conséquent, vivre de leur art ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.
Existe-t-il des artistes sénégalais qui pourraient participer à ce mouvement global aujourd’hui ?
C’est délicat : l’afropop ou l’afrobeat, c’est comme le hip hop américain. C’était comme quand nous avions des artistes en France ou en Pologne qui essayaient de percer le marché américain. C’était très difficile, on a le même phénomène avec des artistes sénégalais qui veulent percer dans l’afrobeat, c’est compliqué dans le sens où c’est essentiellement en anglais. La réflexion doit s’articuler autour de : quelle musique urbaine pourrait plaire aux Sénégalais. Le hip hop marche beaucoup maintenant : on a un jeune artiste qui fait trois à 4000 entrées places payantes lors de ses concerts, Dip Doundou Guiss. Il cartonne en ce moment. L’un des pères du hip hop sénégalais Didier Awadi continue de marcher. En musique urbaine, le hip hop domine au Sénégal. On n’a pas encore su créer une dance music avec une connotation sénégalaise. Peut-être que le Djolofbeat, quand il va exploser, pourrait être une réponse à l’afrobeat nigérian.
Est-il facile de promouvoir la musique au Sénégal ?
Sur toutes les télés, les clips passent toute la journée. C’est via les vidéo clips aujourd’hui qu’on fait la promotion des artistes. Par ailleurs, rien qu’entre le mois de novembre et janvier, j’ai comptabilisé plus d’une centaine de concerts, essentiellement de mbalax. Le secteur se porte très bien. Quand on regarde les chiffres, il y a peut-être des ajustements à faire mais tous ces jeunes artistes se produisent sur le plan local. Certains arrivent à vivre de leur musique. Il y a quand même beaucoup de progrès à faire dans ce domaine-là. Et c’est quand même assez dynamique.
Est-il facile de faire venir des artistes étrangers au Sénégal ?
Alors ça, c’est beaucoup plus délicat. On a eu deux concerts qui ont très bien marché ces cinq dernières années : c’est Stromae évidemment, ça a marché partout. Et là, on vient d’avoir Maître Gims et Dadju. Il faut dire aussi qu’avec l’explosion démographique, cette jeunesse africaine qui est aussi branchée que la jeunesse à Paris, New York ou Beijing, a les mêmes codes esthétiques ou musicaux. Gims, Dadju, Niska ont un public ici qui n’est pas forcément celui qui va voir le mbalax. Ce sont des publics très différents. À part ça, on a beaucoup de mal. Pendant un moment, le reggae marchait très fort, dans les années 80. C’est en train de se redévelopper, mais on a des difficultés car les chiffres ne sont pas là. On ne peut pas se faire de l’argent en tant que promoteur en se basant sur les entrées payantes. Donc, il faut des sponsors et ces sponsors ne suivent pas forcément. Il n’y a pas eu beaucoup d’artistes venus de l’étranger comme on n’en avait dans les années 70-80 au Sénégal, ça a décliné un peu.
En termes d’infrastructures, pensez-vous que le dispositif soit suffisant ?
On a deux grandes salles de théâtre, de 1800 places pour la première et une autre de 1500 places qui sont utilisées pratiquement tous les mois. Il y a aussi les stades. Quand Youssou N’Dour se produit dans les régions, c’est très souvent dans les stades municipaux. Beaucoup de restaurants et de nombreux hôtels ont une offre musicale. Il y a les effectifs qu’il faut pour produire des concerts, Il y a aussi le Dakar Arena, conçu essentiellement pour le sport, mais qui pourrait abriter les concerts. C’est la demande en termes de groupes internationaux, ceux qui pourraient attirer 25 à 30000 personnes, pour lesquels, c’est nettement plus difficile.