Les Amazones d’Afrique toujours en lutte
Après le succès de l’album République Amazones paru en 2017, les Amazones d’Afrique récidivent avec Amazones Power. Conscient que l’avenir se conjugue au féminin, pas moins de dix-sept artistes dénoncent à l’unisson les violences que subissent les femmes. Un combat planétaire tristement d’actualité. Pour porter ce cri d’alarme, l’incontournable Doctor L, alias Liam Farell, a de nouveau prêté main forte avec son savoir-faire en matière de beat électro-urbain. Après avoir joué à guichet fermé à New-York et Glasgow, les divas seront à Angoulême pour le Festival Musiques Métisses le 30 mai. Rencontre avec deux des militantes : Fafa Ruffino, béninoise et Niariu, guinéenne.
RFI Musique : les Amazones regroupent des femmes de trois générations différentes. Que représente cette collaboration intergénérationnelle?
Fafa Ruffino : chez nous, il y a un proverbe qui dit c’est sur l’ancienne corde que l’on tisse la nouvelle. La jeune génération est porteuse d’espoirs, de messages. En fait, elle représente le futur donc c’est normal qu’elle fasse partie intégrante de cette aventure. La jeune génération sera l’héritière de tous ces combats qui vont finir par porter leur fruit. Donc il n’y a pas meilleur messager que la nouvelle génération.
Niariu : moi, la benjamine je faisais de la scène un peu underground parisienne avant de rejoindre le collectif. Le fait d’être entouré de femmes plus mûres est une excellente opportunité d’apprentissage car ces chanteuses ont un savoir-faire et des références.
Le combat que vous menez contre l’excision, les mariages forcés etc. a une signification particulière pour vous en tant que femmes. Est-ce un devoir pour vous de militer pour ces causes?
FR : nous voulons que les femmes prennent conscience de leur pouvoir. Nous voulons que l’on arrête d’abuser de notre générosité. Cette lutte est capitale parce que la femme est le centre du monde. Pendant des siècles, nous avons subi un lavage de cerveau de nos grands-mères. On nous a fait croire pendant longtemps que nous étions faibles, fragiles… Ce combat est aussi une manière de protéger nos âmes. Quand on mutile une petite fille c’est son âme qui est violée, son corps est blessé et c’est irréparable ! Ces femmes sont marquées à vie comme les esclaves l’étaient au fer rouge. Lorsqu’une fillette est mariée à 12 ans avec un homme très âgé, qu’une femme en Europe subit un viol au travail ou est battue par son compagnon, nous devons nous révolter! Nous ne pouvons pas rester là à ne rien faire. En tant qu’artiste, la musique est notre arme car nos messages sont difficiles à entendre. Il est important que les femmes comprennent qu’elles ne sont pas seules. Nous les incitons à se réveiller. Pour nous, ce n’est pas un devoir c’est vital de sauver la vie d’une femme.
N : en tant qu’être humain cela a une signification particulière parce que tout le monde dans son entourage a une mère, une sœur, une fille. Donc ces questions devraient alarmer tout le monde. Ça devrait être un devoir fondamental de se battre pour ces causes.
Pouvez-vous nous expliquer l’esprit de votre morceau Fights?
FR : ce titre fait référence à Shango qui, dans la divinité yoruba (groupe ethnique issu principalement du Nigéria, ndlr), est le roi de la foudre. Je m’adresse aux exciseuses en leur demandant d’arrêter leur pratique. J’incite également les parents à ne plus amener leurs filles chez ces personnes qui pratiquent ces coutumes. La plupart du temps les mères ont subi l’excision et en connaisse les méfaits. Au nom de la tradition, les conséquences sont graves et peuvent aller jusqu’à l’infertilité. Donc je vais à la guerre contre tous ces rites avilissants.
Que raconte précisément votre titre Smile?
N: ce morceau est une invitation à parler, sans en avoir honte, des souffrances que l’on vit de l’intérieur, des traumatismes que nous subissons. Il y en a assez d’entendre dire que la femme qui doit souffrir en silence ! J’appelle donc la gente féminine à parler, à se battre, à s’élever pour sa survie, pour ses droits. Pour qu’elle croit en elle et en sa force.
Votre collectif rend hommage aux guerrières africaines. Que vous inspirent ses femmes méritantes?
FR : les premières amazones étaient celles du roi Béhanzin. Elles constituaient la garde rapprochée du roi du Dahomey (ancien royaume de l’actuel Benin, ndlr). Il avait compris que les meilleurs protecteurs pouvaient être des femmes. Pour nous c’est une référence que nous devons garder en mémoire. Dans l’histoire contemporaine, il y a plein d’amazones: Simone Veil, Miriam Makeba, Celia Cruz, Angélique Kidjo.
N : Il est évident que nous avons toujours un respect pour ses pionnières. Ces femmes sont un symbole fort de cette lutte qu’elles nous ont léguée et que nous reprenons.
CD/vinyles Amazones Power (Real World/3D Family/RFI Talent)