Awori invoque le souvenir de la dernière reine malgache
Imprégnée par les musiques urbaines américaines comme britanniques et portant en elle la tradition du chant d'église pratiqué en Afrique, la jeune chanteuse ougandaise Awori saisit l'opportunité de mettre en avant sa voix soul dans une architecture sonore électro-hip hop conçue par Twani, son partenaire sur l'album Ranavalona.
A priori, leur rencontre devait se concrétiser le temps d'un seul single, une de ces "graines musicales inédites" plantées chaque mois par Galant records, un label de hip hop français pour sa série baptisée Seeds et dont la singularité est de mettre en relation un beatmaker et un artiste de rap. Mais entre la chanteuse ougandaise Awori et le compositeur français Twani, le courant est si bien passé et la collaboration s'est avérée si "fluide" que la prolonger est apparu évident aux protagonistes pour donner naissance à l'album Ranavalona.
"On a écouté beaucoup de genres musicaux similaires, chacun de notre côté durant notre enfance, notre adolescence. Je suis très fan de la scène grime qui vient d'Angleterre et il a cette patte-là", relève la jeune trentenaire, pour expliquer cette compréhension artistique instinctive avec celui auquel elle applique l'expression de "brother from another mother" (frère issu d'une autre mère).
Enfermée chez elle pendant la période de confinement, Awori s'est laissée imprégner de la dizaine d'instrumentaux imaginés pour elle par son partenaire, dans ce contexte si particulier lié à la pandémie de Covid-19 :"Il y avait beaucoup d'éléments inquiétants, d'incertitudes, un état d'angoisse, et tout cela a impacté les chansons que j'ai faites."
Une reine malgache
Entre toutes ses émotions par lesquelles elle se laisse guider, se dresse un phare, une figure inattendue, passée à la trappe de l'histoire, et à laquelle elle consacre un morceau devenu le titre de l'album : Ranavalona III, dernière souveraine de Madagascar à la fin du XIXe siècle, évincée du trône au moment de la colonisation française.
"J'ai été touchée par sa résilience, malgré la défaite face à l'envahisseur colonial. La violence coloniale était si forte, avec plus de moyens et d'hommes, qu'il aurait été difficile d'y résister, mais elle a essayé. Et elle a passé la dernière partie de sa vie en exil loin de son peuple, loin de son pays", résume la militante afroféministe – dont l'anniversaire correspond incidemment avec la Journée internationale des droits des femmes.
Le "déracinement" qu'elle partage avec la reine malgache, même s'il n'est pas du tout de la même nature, n'en a pas moins laissé des traces profondes chez la chanteuse. "Devoir partir, quitter les siens n'est jamais un choix, mais une contrainte", souligne-t-elle. À onze ans, elle quitte l'Ouganda où vit son père pour retrouver sa mère en Suisse. "J'ai beaucoup écrit pendant cette période d'adaptation", se souvient-elle. Des poèmes nostalgiques —qui parlent de sa famille restée là-bas, de son pays — et de temps à autre aussi, des paroles de chansons.
Famille et religion
À Kampala, elle avait déjà cultivé cette fibre-là en milieu scolaire, où seules les compositions personnelles et les chansons religieuses étaient autorisées. "Dès que j'ai appris qu'on pouvait chanter sur scène à l'école, je me suis proposée", rappelle Awori, élevée dans une famille très croyante, avec "un grand-père très talentueux, pianiste et guitariste qui a transmis cet amour pour la musique".
À Genève, pour trouver des repères dans son pays d'accueil, elle prend naturellement la direction de l'église, celle du Petit-Saconnex, où elle rejoint la chorale, avant de s'émanciper sur le plan musical, influencée par son époque et les disques des rappeurs américains Notorious BIG, Tupac ou A Tribe Calles Quest de ses grands frères. L'univers s'élargit.
Dans un groupe de blues rock, elle reprend les classiques de Creedence Clearwtare Revival ou AC/DC ; avec CaramelBrown devenu Kami Awori ("électro-soul minimale, anticonformiste, polyrythmique", précise leur page Web), elle sort un premier projet discographique en 2013. Enfin elle peut chanter ce qu'elle écrit. Deux ans plus tard, après l'accueil favorable réservé à leur reprise de Swimmig Pools de Kendrick Lamar, elle s'autorise cette fois à rapper ses propres textes.
Entre-temps, pour "faire plaisir" à ses parents, elle s'est envolée pour le Canada afin d'y suivre des études de biologie qui se sont transformées après six mois, sans qu'elle en informe ses proches, en cours de jazz, de cinéma. En tant que choriste, elle a accompagné la chanteuse suisse d'origines malienne et sénégalaise Thaïs Diarra dans sa tournée en Afrique de l'Est, joué à Nairobi, Kigali, Zanzibar... "Je suis de nature assez nomade, c'est dans mon sang", affirme-t-elle en référence au peuple luo, auquel appartient son père. C'est aussi, pour elle, une façon de vivre ce panafricanisme qui habite ses pensées.
Awori & Twani Ranavalona (Galant Records) 2021
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