Jupiter, partout chez lui

Jupiter & Okwess. © Marcelo Quinones

S’intéresser à Na Kozonga, foisonnant troisième opus de Jupiter et Okwess, c’est s’entretenir à deux jours d’écart et à bonne distance avec Jupiter Bokondji depuis son chez lui à Kinshasa et François Gouverneur, son manager installé au Mexique. C’est parler de la vie, de la mort, et de tout un tas d’autres choses.

Na Kozonga signifie "je rentre chez moi". Une information de première importance, une sorte de pied dans la porte pour qui démarre une interview par téléphone avec le chanteur congolais Jupiter Bokondji, retranché à Kinshasa depuis quelques mois du fait de la Covid.

Naturellement comme une évidence la première question est : "C’est où chez toi ?". "Chez moi, c’est ma profondeur infinie" répond du tac-au-tac Jupiter. "Bien sûr, il y a le chez-moi primaire, où j’habite avec ma femme et mes enfants, mon village. Mais s’il faut réellement rentrer chez moi, d’où je viens donc, c’est la mort. On est né pour mourir un jour. Chez moi, c’est 2m2 !" glisse-t-il comme si de rien n’était.

Un vrai retour, la mort

Ce fils de diplomate qui, enfant, a souvent changé d’adresse — de Kinshasa à Dar es Salam ou au Berlin d’avant la réunification — ne semble pas angoissé à l’idée d’évoquer sa dernière demeure. "La mort, je l’observe, la cherche" dit-il. "C’est mon rôle en tant qu’artiste que de prévenir, de passer le message : la mort fait partie de la vie. La mort, c’est la paix, la vraie paix, l’éternité. La mort, c’est positif !" assène celui qui a perdu il y a pratiquement un an son père au Congo pendant que lui était confiné à Paris.

Quelques années auparavant, il avait perdu son manager historique, Marc-Antoine Moreau à qui il rend hommage avec un titre tout simplement intitulé Marco. "Marco a fait beaucoup pour les musiques africaines. Il nous a aidé à être ce que nous sommes". Quand il dit "nous", Jupiter pense à lui et Okwess, son groupe, mais aussi à Amadou & Mariam, Songhoy Blues, DJ Mo ou la rockeuse malgache Kristel que le manager avait repérés, signés et accompagnés vers les succès que l’on sait. "On ne l’oublie pas et on ne l’oubliera jamais. On le remercie."

À la différence de ses deux albums précédents, Jupiter a souhaité cette fois-ci être pleinement artiste, "ne plus être entre le marteau et l’enclume" comme il dit. Pour cela, il a investi François Gouverneur, son ancien responsable du son sur ses tournées et nouveau manager, des nombreuses fonctions qui lui incombait auparavant.

Ainsi, c’est François Gouverneur qui a eu l’idée de coréalisé avec Mario Caldato Jr, ces 12 plages aux tempi élevés inspirés des musiques de cérémonie. C’est François et Mario qui ont proposé les "guests" de l’album : des Brésiliens Marcelo D2 et Rogé à la chanteuse chilienne Ana Tijoux, en passant par la section de cuivres du Preservation Hall Jazz Band croisée lors d’un concert au Festival de Jazz de la Nouvelle Orleans (USA), la chanteuse américaine Maiya Sykes ou le guitariste Yarol Poupaud qui avait travaillé en 2007 avec Jupiter à l’époque La Danse de Jupiter.

C’est ce documentaire signé Renaud Barret et Florent de la Tullaye qui avait donné un essor international aux musiques de Jupiter & Okwess. Chacun à sa façon, patine, ici, le son du Général Rebelle comme on le surnomme à Kin’, autant pour son imposante et filiforme carrure que sa fougue naturelle.

"C’est l’album de la démocratie, un album pour lequel j’ai souhaité que chacun s’y retrouve financièrement" explique-t-il. "Ça fait 15 ans que mon groupe m’accompagne. On se connait bien et on avance ensemble." Cette notion de groupe, de famille, de communauté est un des marqueurs de la personnalité du chanteur et musicien qui à Kinshasa, est au centre d’une nébuleuse de groupes de musique de recherche comme ont dit pour qualifier là-bas tout ce qui s’écarte du moule de la rumba. Ils ont pour nom Arobase & Biakudja, Pic Pic Wawa, Bankosi, et Jupiter est leur grand frère, l’ami, le coach, le papa. Il les encourage, les accompagne, les forme.

Na Kozonga, reprise de reprise

Na Kazonga, titre qui donne son nom à cet album annoncé en juin 2020 et repoussé de presque un an, est une reprise du Gotta Go Home de Boney M. C’est du moins ce qu’il pensait quand ils ont commencé à travailler sur ce titre qui lui aussi évoque le retour à la maison.

C’est en s’intéressant aux crédits du titre qu’ils réalisent que la chanson originale est allemande : Night Train d’Hallo Bimmelbahn. Une fois de plus, tout semble coïncider, réunissant en une chanson, différents moments de sa vie.

"Jupiter est confiant dans sa destinée. Il a cette force" commente François Gouverneur, son manageur et co-réalisateur de cet album publié sur Zamora Prod, le label du tourneur du groupe. "Jupiter veut laisser son empreinte, plus qu’être connu, et aime à faire entendre ses musiques sur tous les continents. Dans les trois Amériques, et plus particulièrement au Mexique, l’accueil est très bon. C’est une des raisons, en plus de liens familiaux (une de ses grands-mères est mexicaine) pour lesquelles je cherche à développer quelque chose ici." Mexico, Paris, Kinshasa étaient voisine. La pandémie les a peut-être éloignés.

Jupiter & Okwess Na Kozonga (Zamora Productions) 2021
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