Lucia de Carvallo illumine l’hiver avec "Pwanga"

La chanteuse Lucia de Carvalho © Frank Lorioux

Née à Luanda, installée en France depuis vingt ans et passionnée par la musique brésilienne, la chanteuse et percussionniste Lúcia de Carvalho signe Pwanga, savant métissage entre ces trois pays et son appétit insatiable pour les musiques du monde. Un troisième album à son image : tonique, solaire et généreux.

RFI Musique : Pourquoi Pwanga ?
Lúcia de Carvalho
: Cela signifie lumière en tchkowe, langue essentiellement parlée dans l’Est de l’Angola. Une amie à moi proposait à des femmes angolaises qui travaillent aux champs d’écrire des textes d’auto-louange pour leur redonner confiance en elles. Pour la photo finale, on leur a demandé : "Pwanga ni Puy ?", "lumière ou obscurité" ? Elles ont bien sûr répondu "Pwanga !". C’est ce que je ressens, je me sens en paix et en harmonie avec moi-même. Sans nier les difficultés, je suis clairement "Pwanga".

C’est un disque solaire. Même Tristeza est très dansante ! D’où vous vient cette énergie ?
On me pose souvent la question quand je sors de scène (Rires) ! C’est peut-être parce que je suis du signe du Lion, un signe de feu ! Je crois que c’est aussi culturel. C’est un point commun entre la culture brésilienne et angolaise où l’on rit facilement de ses malheurs. C’est très beau et très sain, ça aide à passer à autre chose. Je suis aussi très admirative de ma mère. Elle a été résistante en Angola, a voyagé seule avec ses filles et n’a pas eu le droit de nous voir pendant dix ans lorsqu’on a été adoptées. Je garde aussi en tête que j’ai démarré ma vie en Angola dans un milieu modeste où l’on n’avait pas toujours de quoi remplir son ventre. Petite, l’un de mes jeux préférés était de déchirer des dessins de nourriture pour m’en délecter en les mettant à ma bouche. Je suis pleine de gratitude. C’est aussi une quête de connexion que je trouve dans la nature. Une fleur elle pousse chaque jour elle ne se dit pas "Tiens aujourd’hui je vais pousser !" (Rires)

Où l’avez-vous enregistré ?
Au studio Ferber à Paris et…à la maison ! (Sourire) Nous sommes aussi allés à Lisbonne avec Edouard Elbronn, guitariste, coréalisateur et arrangeur du disque, pour donner une saveur plus angolaise à deux morceaux pour lesquels on a fait appel au percussionniste Galiano Neto et au guitariste Betinho Feijo. C’était un très beau cadeau. Ces vétérans de la musique sont très généreux et nous apportent beaucoup.

En quelles langues chantez-vous sur Pwanga?
La plupart des chansons sont en portugais, ma langue maternelle, celle de cœur et de mes émotions. Il y a aussi des chansons en anglais (Happiness et Harmony). Saeli est une chanson en tchokwé. Je l’avais écrite quand j’étais enceinte au cours d’une insomnie pendant laquelle je me posais des questions sur la maternité. J’ai accouché ces pensées sur un papier et j’ai demandé à un poète angolais s’il pouvait en faire un poème en kimbundu, la langue de ma mère. C’est ainsi que cette chanson est née !

Lúcia de Carvalho - Phowo

Le fait d’être née en Angola, d’avoir grandi au Portugal puis d’avoir vécue en Alsace, influence-t-il votre style musical ?
Tout à fait. Mon arrivée en France a été marquée par une coupure drastique avec la culture musicale lusophone et afro de manière générale. L’Angola était loin, cela m’a donné envie de m’en rapprocher. Commencer la danse traditionnelle brésilienne à seize ans en a été un moyen, car la culture angolaise étant très imprégnée par la musique brésilienne. Dans mon petit village en Alsace, quand j’approchais de mes dix-huit ans, on faisait des boums tout le temps. C’est là que j’ai découvert le rock et même la techno ! Bien plus tard, j’ai intégré des groupes de musiques jazz, blues, antillaises, guadeloupéennes, péruviennes… Toutes ces influences se retrouvent, ce sont des ingrédients dont je me sers en fonction de l’inspiration. Avec Kuzola (son deuxième album, 2016, ndlr.) j’étais en quête de sens. C’est devenu une quête d’essence : le monde extérieur me renvoyait à mon monde intérieur. Je cherche moins une direction qu’une connexion avec ce qui m’entoure et avec le sacré.

Il est question des femmes sur l’entrainante Phowo…
"Phowo" signifie femmes en tchokwe. Ses paroles disent : "je suis une femme agricultrice, dure comme le fer, forte et aimable. J’apporte l’eau au village. Je mérite le respect de l’humanité, car je suis source de vie". Oh j’ai trouvé ça tellement beau et puissant ! J’ai trouvé la mélodie facilement, j’ai ensuite contacté Émile Biayenda des Tambours de Brazza pour la sublimer. Le tournage du clip, dans les champs de maïs d’un village peul était insolite, en contact avec les réalités de ces femmes.

Les chœurs apportent une dimension supplémentaire à votre musique. Est-ce un clin d’œil à vos débuts ?
Je crois que c’est parce que ça me fait penser à des chants traditionnels. J’aime beaucoup en écouter, cela remplit l’âme, l’espace et le cœur. Cela me touche énormément. C’est sûr qu’avoir été choriste me donne des idées ! C’est aussi lié à mon premier mentor, Michel Latour, alias Jokla, l’un des premiers musiciens à m’avoir poussé à faire ma propre musique, lui aussi y accorde une grande importance.

De quoi parle Desperta qui mêle flamenco et musiques d’Europe de l’Est ?
Elle raconte l’éveil d’une catherinette qui passe son temps à rêvasser, la tête dans les nuages. C’est une conscience endormie à qui l’on demande d’ouvrir son cœur, ses yeux et son esprit.

Pourquoi avoir demandé à Chico César de l’interpréter avec vous ?
J’étais très touchée qu’il accepte. On a l’impression que ce sont les plus grands les plus humbles. Il cherche à semer la lumière, à faire du bien aux autres. J’ai souvent demandé à l’univers que les personnes participantes à ce disque soient lumineuses. Pour cet album qui s’appelle Pwanga… Traduire la lumière en musique, c'est si grand… Peut-être qu’on peut y accéder en allant vers la partie de soi la plus nue, celle qui accepte d’être avec ses qualités, ses défauts, ses parts d’ombre et de lumière.

Lúcia de Carvalho Pwanga (Zamora Label) 2022

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