Afriquatuors, le dépaysement musical d’une terra incognita
Quand des chanteurs d’Afrique centrale et de l’Ouest interprètent des œuvres de leur continent réarrangées pour être jouées par des instruments de musique classique, cela donne Afriquatuors, projet né sur scène et désormais prolongé sous forme d’album. Une autre façon d’entendre les chansons et morceaux de Francis Bebey, Franco, Papa Wemba, Bembeya Jazz…
Ce sont des mondes qu’on a parfois tendance à opposer, tant ils semblent éloignés. Entre musiques d’Afrique et musique classique, quel dialogue possible ? Afriquatuors donne des éléments de réponse à cette question déjà posée à d’autres reprises : le Malien Toumani Diabaté et London Symphony Orchestra, la Béninoise Angélique Kidjo et l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, le Congolais Ray Lema et le Jazz Sinfônica de São Paulo ou, à une échelle intimiste, le Sénégalais Ballaké Sissoko et le Français Vincent Segal.
Cette fois, la conversation imaginée se fait entre quatre voix du continent et huit musiciens, ceux d’un quatuor à cordes (violons, violoncelle, contrebasse) et d’un quatuor à vents (clarinette, saxophone, basson, cor). Avec en outre la présence d’un batteur et d’un percussionniste, dont le rôle pourrait s’apparenter à celui d’un intermédiaire.
Deux ans après la naissance du projet et sa présentation dans le cadre du festival Africolor en 2019, les protagonistes se sont retrouvés en studio pour enregistrer, en live, le contenu de cet album audacieux : huit titres, appartenant à divers univers artistiques, d’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale, de la musique mandingue à la rumba, sans être forcément emblématiques chacun d’un courant particulier mais pouvant surtout se prêter à une telle opération chirurgico-musicale : ainsi de Awa Y Okeyi, chanson de Papa Wemba que le chanteur congolais Ballou Canta a sélectionnée parce qu’elle lui semblait pouvoir subir les ajustements nécessaires.
"Je ne pouvais pas imaginer, même dans mes rêves les plus fous, être accompagné par un orchestre européen", admet aisément cette figure expérimentée de la scène afroparisienne. Le fringant sexagénaire, qui se définit volontiers comme un "aventurier de la musique", a fait les beaux jours du Bal de l’Afrique enchantée dont la direction artistique était assurée par Christophe Cagnolari, maître d’œuvre d’Afriquatuors.
"Dès qu’il m’a présenté les premières maquettes, j’ai sauté le pas" rappelle Ballou Canta, qui vante les qualités d’arrangeurs de son partenaire et son ingéniosité : "On a l’impression qu’il y a des guitares alors que ce ne sont que instruments de musique classique. Et il a même réussi à faire ressortir le delay en faisant jouer les violons !" s’exclame-t-il au sujet d’Amour Madinina, titre phare de son répertoire paru à la fin des années 80 et revisité ici.
"Je n’imaginais pas que cette chanson qui est très rythmée pouvait convenir à ce genre d’instruments", poursuit-il, tout en pointant les contraintes de l’exercice : "Il m’a fallu du temps pour m’adapter. Nous, dans la musique africaine, on est souvent poussé par l’improvisation, un peu comme dans le jazz, il n’y a pas de cadre défini, alors que là il y avait une structure précise.”
C’est aussi sa voix que l’on entend sur la relecture d’Omo Awa Ijesha du Nigérian I.K. Dairo, ambassadeur de la juju music, ou Crise économique du Gabonais Hilarion Nguema. Au micro, se succèdent d’autres artistes : la Togolaise Tina Kloutse sur un morceau du Camerounais Francis Bebey (Stabat Mater Dolorosa), le doyen de la rumba congolaise Sam Mangwana (qui interprète Suite Lettre N°1, un titre de son compatriote Franco) ainsi que le Guinéen Sekouba Bambino, en charge de Ballaké popularisé par le Bembeya Jazz.
"Ce concept, c’est un pont entre l’Europe et l’Afrique. Il n’y a pas de barrière. J’espère que cela va permettre aux peuples, aux cultures de se rapprocher", plaide Ballou Canta. Son souhait ? Amener Afriquatuors sur son continent natal.
Afriquatuors (La queue de la comète / L'autre distribution / Idol) 2022
En concert au Studio de l'Ermitage à Paris le 29 novembre 2022
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