Africa Now! Coups de projecteur sur l’Afrique à New York

Seun Kuti, sur la scène de l'Apollo Theater à New-York, lors du Festival Africa Now !, samedi 15 avril 2023. © Michaël Oliveira Da Costa

Pour sa 9e édition, le légendaire Apollo Theater de New York a accueilli du 13 au 15 avril, le festival Africa Now! Durant trois jours, l’accent a été mis sur la valorisation des cultures musicales africaines et l’importance de la promotion de celles-ci aux États-Unis par des concerts d’artistes établis, comme Seun Kuti and Egypt 80, ou de valeurs montantes, comme la Nigériane Preyé, mais aussi par l’organisation d’une projection et d’une discussion autour du film Tonton Manu, pour rendre hommage à Manu Dibango, le premier artiste africain à s’être produit dans cette salle mythique. Reportage. 

L’ambiance est festive comme à l’accoutumée en ce samedi sur la 125e rue à Harlem, l’une des artères les plus actives de la Grosse Pomme, avec ses commerces ambulants qui vendent de l'encens, mais aussi des vieux vinyles et des t-shirts à l’effigie de James Brown, de Bob Marley mais aussi de Fela Kuti, comme un signe, un symbole à l’occasion du festival Africa Now! 

Positionné avec son stand de bijoux fantaisie juste au coin de la 8e avenue, à environ 40 mètres de l’entrée de l'Apollo Theater, un vieil homme aux cheveux grisonnant a le sourire et monte le volume à fond, au son de I.T.T. (International Thief Thief), l’un des titres incontournables de Fela Kuti. "J’ai mis ce son pour rendre hommage à l’un des meilleurs artistes de tous les temps, mais aussi l’un des moins connus par nous, Américains", sourit Dwayne, natif du quartier et fan absolu de la légende nigériane, "son fils joue ce soir, et j’ai vraiment hâte de le voir, car il essaye de promouvoir l’héritage de son père, ce qui n’est pas simple. Mais il a du talent, beaucoup de talent !" s’enthousiasme le septuagénaire. 

Point d’orgue de cette neuvième édition, le concert de Seun Kuti and Egypt 80 est dans tous les esprits, tête d’affiche d’un festival Africa Now! qui tente d’aider à la promotion des cultures artistiques et musicales du continent depuis une décennie, dans un pays qui a encore du mal à connaitre - et à reconnaitre-  l’impact des artistes du continent africain sur le monde de la musique.

"C’est vrai que l’on est dans un travail constant de reconnaissance et d’exposition de l’Afrique et de ses musiques, c’est un combat de tous les instants, surtout ici", précise Terra Renée, directrice de l'African American woman in cinéma et modératrice de la discussion ayant suivi la projection du documentaire Tonton Manu, où une bonne cinquantaine de personnes, de tous âges, se sont rendus. "Après le film et la discussion avec les réalisateurs via zoom, j’ai discuté avec plusieurs personnes présentes. Ça me fait toujours sourire de voir qu’une grande majorité des gens ne sait pas que le Soul Makossa a été samplé par Michael Jackson et Rihanna. Mais quasiment tout le monde connaît ces deux, trois mots qu’ils ont utilisés et l’air qui va avec dans Wanna be startin’ something et Don’t Stop the music! C’est le signe qu'on ne rend pas à César ce qui appartient à César ! Et c’est le but de ce genre d’initiative et du festival"

(Re)mettre l’Afrique sur la carte musicale mondiale 

L’exemple de Manu Dibango résonne comme un constat sans équivoque, et l’intérêt d’utiliser, entre autres, l’héritage du jazzman camerounais pour illustrer le travail qu’il reste à faire pour une meilleure exposition des musiques africaines est un leitmotiv pour les acteurs du milieu, en premier lieu, pour les artistes. "C’est notre rôle de transmettre l’héritage de légendes comme Manu Dibango, mais aussi celui de mon père, car ils ont inspiré, et inspirent encore des millions de personnes en Afrique, mais aussi à travers le monde !" souligne Seun Kuti, qui ajoute "sans eux, il n’y a pas de 'nous'. Ils ont fait bouger les lignes, et nous, artistes africains, nous devons leur rendre hommage, à chaque fois que cela est possible".

Pour le fils de Fela, qui a fait salle comble samedi soir, avec environ 1400 personnes qui ont vibré au rythme de ses sons et de l’énergie endiablée de son groupe Egypt 80, sa touche personnelle a été de reprendre quelques morceaux de son paternel, et de faire quelques intermèdes pour expliquer aux spectateurs le Movement of the people (M.O.P), le mouvement social et politique crée par Fela dont il a repris le flambeau.

"Je pense qu’au-delà de la musique, il y a un point commun avec Harlem, mais aussi avec la culture afro-américaine, qui nous rapproche des artistes africains : l’histoire de l’oppression, la tradition d’engagement social d’une grande partie d’entre eux, et c’est une raison de plus pour que les musiques d’Afrique soient mieux exposées, pas seulement des gars comme Burna Boy, WizKid et Rema, mais aussi les Manu Dibango, Fela Kuti et son fils Seun, qui ont en quelque sorte ouvert la voie aux plus jeunes", explique Serena, native du quartier et qui était déjà présente au concert de Fela à l’Apollo, il y a 32 ans… Où Seun, encore enfant, était monté sur scène pour danser avec son père ! 

L’objectif de faire connaître les richesses des dynamiques musicales africaines du passé est primordial, mais mettre également en valeur les talents actuels qui émergent du continent est tout aussi important. Avec son concert en seconde partie de soirée vendredi, ambiance cosy et voix suave, la Nigériane Preyé a aussi permis de montrer que l’Afrique regorge d’artistes de talent qui veulent se faire une place au soleil dans le monde de la musique.

"Nous sommes dans une phase où de plus en plus de monde commence à danser et à vibrer sur nos sons, et où de grands artistes internationaux veulent collaborer avec des talents africains" précise l’artiste tout sourire, "ce genre de festival permet de nous exposer encore un peu plus, surtout dans une salle aussi mythique que l’Apollo, c’est juste un endroit où les légendes sont toutes venues !" conclut Preyé. 

© Michaël Oliveira Da Costa
Preyé, sur la scène de l'Apollo Theater à New-York, lors du Festival Africa Now !, samedi 15 avril 2023.

 

Seun Kuti : "Faire connaitre le passé musical africain pour inspirer le présent et le futur"

RFI Musique : Venir jouer à l’Apollo Theater est une première pour vous. C'est dans cette salle où vous avez vécu l’un de vos meilleurs souvenirs d’enfance…
Seun Kuti
: Oui, c’est un peu : "la boucle est bouclée" ! Jouer pour la première fois dans cette salle mythique, c’est juste extraordinaire, unique, incroyable. L’Apollo Theater est un endroit spécial pour moi, car je suis venu avec mon père il y a 32 ans, et ça a été le moment où je me suis dit "je veux être musicien !" après l’avoir rejoint sur scène. Je n’oublierai jamais ce moment. J’avais senti une atmosphère géniale. Revenir ici après plus de trente ans, j'en suis vraiment heureux : à mon tour de continuer de transmettre le flambeau de mon père et de faire ma musique sur cette scène légendaire. 

Le festival Africa Now! a décidé de mettre l’accent sur des artistes historiques du continent, dont Manu Dibango, et vous mettre en tête d’affiche, avec à l’esprit la transmission au public de  l’héritage de votre père, Fela, par vous et votre groupe Egypt 80. Quelle est l’importance de parler des légendes de la musique africaine ? 
C’est extrêmement important. Ce sont eux, mais aussi les Miriam Makeba, les Salif Keita et bien d’autres qui, aux quatre coins du continent, ont fait ou font leur musique, pour parler de leur vie, de leur culture et de leur pays respectif. Je pense que la philosophie devrait être la suivante : faire connaître le passé musical africain, pour inspirer le présent et le futur. On doit transmettre l’héritage de nos légendes aux nouvelles générations, et au monde entier.

Apollo Theater, Harlem… Le cadre est idéal pour ce genre de festival, qu'en pensez-vous ? 
Oui, c’est clair. J’étais très heureux de savoir que l’on m’avait invité pour y jouer, et je ne pouvais pas refuser, car c’est un endroit qui parle aux fans de musique du monde entier. Donner de la visibilité à l’Afrique sur une scène comme l’Apollo, c’est spécial, c’est incroyable, et il faut continuer à ce que les artistes africains jouent sur les meilleures scènes du monde, dans des endroits mythiques comme ici.