À Marseille, l’Afrique plurielle de La Nuit des griots

Les artistes sénégalaises Mamy Victory et Defa forment le duo Defmaa Maadef. © RFI / Bertrand Lavaine

Dans des registres différents, le Malien Bassekou Kouyaté, la Gabonaise Pamela Badjogo et les Sénégalaises Defmaa Maadef ont pris part à la huitième édition du festival La Nuit des griots qui s’est tenue en France dans la cité phocéenne du 9 au 14 mai 2023.

"Aujourd’hui, je suis content d’être ici, parce que je me sens chez moi en France." A priori anodine, entre marque de respect et banalité d’usage, la phrase de Bassekou Kouyaté en introduction de son concert à la Cité de la musique, ce 12 mai, portait en filigrane un message impossible à ignorer au regard des relations actuelles entre Bamako et Paris, avant d’enfoncer un peu plus le clou en enchaînant avec un morceau destiné à promouvoir la paix, autre référence à la situation de son pays.

À La Nuit des griots, le musicien malien de 57 ans était par nature dans son élément. Comme son compatriote Toumani Diabaté, il appartient à une de ces familles qui occupent dans la société mandingue une fonction singulière, transmise de génération en génération, depuis des siècles. "C’est comme un livre d’histoire : selon ton nom de famille, par exemple Coulibaly ou Diarra, je sais de qui tu es le descendant", illustre-t-il.

Mais son rôle est aussi fait de qualités d’intermédiation. Autrefois, il s’agissait de "trouver des solutions, un terrain d’entente" quand apparaissait un litige entre les nobles et la population. Aujourd’hui, cette parole continue d’être sollicitée, laisse-t-il entendre, quand on l’invite à s’exprimer dans les médias nationaux "pour que la paix puisse revenir".

Il y a quelques jours, ce griot globe-trotter est passé en coup de vent au Mali pour la troisième édition du Festival de Dô (dont il est cofondateur) organisé sur son île natale de Garana à quelques kilomètres de Ségou. Dans le sud de la France, il reprenait le cours de sa tournée à travers l’Europe, après une quinzaine de dates en avril aux États-Unis. Son moteur ? Faire connaitre le ngoni, "le plus vieil instrument d’Afrique de l’Ouest", qui date d’"avant Jésus-Christ", assure-t-il.

Bassekou est le premier à avoir voulu conférer à ce luth ancestral une visibilité internationale. Son père l’utilisait assis ; lui a fixé des bretelles pour être debout, en jouer comme un guitar hero, avec des effets de distorsion. Défendre le griotisme en tant que "pilier de la tradition" n’est en rien incompatible avec l’évolution, à ses yeux.

Des femmes dans la programmation

C’est aussi la vision que défend Issiaka Kouyaté, directeur artistique de La Nuit des griots, avec l’intention d’élargir le spectre et "privilégier la qualité plutôt que la quantité". Cette année, le festival tenait en parallèle à conjuguer sa programmation au féminin. Avec Pamela Badjogo, il a fait le choix d’offrir une tribune à une chanteuse qui lutte avec son répertoire pour les droits des femmes : "Si Fatoumata se fait taper dans la cuisine à l’heure du dîner, au fond ne l’avait-elle pas mérité ? Le plat du soir était mal cuisiné", ironise le premier couplet de Respectez-nous, paru en 2021 sur son deuxième album Kaba.

En mars, la Gabonaise a proposé de ce morceau une version signée par le DJ burkinabè Breezy Keys, avec la participation de la rappeuse malienne Ami Yerewolo. La série des remixes qu’elle a voulu faire pour donner une deuxième vie à certaines de ses chansons avait démarré en début d’année avec Toto revu par Victor Vagh (Pygmalion de Flavia Coelho).

Un troisième épisode vient d’être livré : Moluma Mê, confié à l’Ougandaise Catu Diosis. Pamela pressentait que la DJ de Kampala saurait trouver ses repères en termes de sonorités, car toutes deux ont en commun d’être bantoue, bien que l’une soit de l’ouest du continent et l’autre de l’est.

Si les réseaux sociaux en particulier et Internet en général ont permis d’établir ce type de relations jusqu’alors quasi improbables entre des artistes, des scénarios plus habituels continuent toutefois d’exister pour donner naissance à de nouveaux projets. Lesquels s’avèrent tout autant susceptibles de faire bouger les lignes. "Notre objectif, c’est d’ouvrir une nouvelle page de la musique sénégalaise", annonce en l’occurrence le binôme Defmaa Maadef, qui avait été chargé de se produire en clôture de l'édition 2023 de La Nuit des griots dans le cadre intimiste du Café Julien. Parfait, pour prendre de plein fouet l’énergie combinée de Defa, la chanteuse, et sa complice Mamy Victory, la rappeuse, qui remplissent l’espace à la fois physiquement et vocalement.

Réunies sur scène depuis à peine un an, les deux Sénégalaises qui se connaissent de longue date et mènent leur carrière solo avec succès, ont découvert le potentiel de leur association lors de la pandémie de Covid-19. "Tout ce qu’on pouvait faire, c’était aller au studio à 18 heures et y passer la nuit à créer des sons", raconte Mamy Victory.

Accompagnées sur le plan de la direction artistique par Baay Sooley, ex-Positive Black Soul, elles se sont rapidement fait un nom… sans avoir de discographie sur le marché, hormis Dieuredieuf visant à soutenir l’équipe de foot du Sénégal lors de la Coupe du monde de 2022. L’anomalie – à moins qu’il s’agisse de stratégie ? – sera corrigée en novembre par l’album Jaar Jaar, précédé fin mai par le EP Oh Maliko. "C’est une expression en wolof pour dire : alerte, Defmaa Maadef arrive !", traduisent-elles. Avec l’espoir de montrer la voie aux plus jeunes, telles des pionnières.

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