Le "London-Bamako" de Fatoumata Diawara

L'artiste malienne Fatoumata Diawara. © Alun Be

Le nouvel album de Fatoumata Diawara, London ko est à son image : céleste et tellurique, métissé, sensible et engagé. De passage dans les studios de RFI entre deux avions, l’artiste malienne, à la carrière internationale, nous parle de ce disque et de ses rêves. Rencontre.

RFI Musique : Pour quelles raisons appelez-vous cet album London ko ?
Fatoumata Diawara :
C’est "London Bamako". Damon Albarn a trouvé ce nom et cette idée, lorsque nous collaborions sur Le Vol du Boli au Théâtre du Châtelet. Cela s’était tellement bien passé qu’il voulait qu’on travaille sur mon prochain album. Nsera était la première composition. Nous étions vraiment contents ! Il y avait une telle fusion entre sa musique anglo-saxonne et ma musique malienne, sans qu’elle soit dénaturée ! Il répétait en boucle "London Bamako !" et on a appelé l’album ainsi.

Justement dans Nsera, vous célébrez un retour joyeux au Mali. C’est autobiographique ?
Bien sûr, parce que j’aime beaucoup cette Afrique, j’aime énormément le Mali. De loin, l’Afrique paraît particulière avec des problématiques qui partent dans tous les sens. Mais il y a de très belles choses sur ce continent. Nous sommes aussi chanceux. Et c’est à nous, les Africains, de la représenter, de parler de cette Afrique complexe et belle. C’est ce que je veux également montrer dans les clips du disque.

C’est bien ce que l’on voit dans celui de Nsera que vous avez tourné au Sénégal. C’est une profusion de couleurs, de vêtements traditionnels et de figurants…
J’ai travaillé avec un réalisateur très talentueux, qui a beaucoup d’imagination (Gregory Ohrel, NDLR). Cela s’est fait très vite. Je voulais absolument que le clip se passe en Afrique et soit original.

Damon Albarn collabore sur six morceaux et coproduit London ko. Comment collaborez-vous ?
Je le connais depuis très, très longtemps. Damon et Matthieu Chedid ne sont plus des collaborateurs, ce sont devenus des frères. Ce sont des personnes sur lesquelles je peux compter. Je connais Damon depuis mon premier album, Fatou, qui était produit par un label anglais. C’était en 2011 et Damon et moi ne nous sommes plus quittés. Chaque fois qu’il avait un projet, il me sollicitait, il m’a fait chanter dans toutes les langues (Rires) et j’ai toujours répondu à son appel. Matthieu pareil. Quand je les ai sollicités pour mon projet, ils sont venus, très généreusement. Ils se sont donné cœurs et âmes. Je suis contente du résultat. C’est un vrai partage.

Sur Dambe, vous abordez la tradition. Quelles sont les valeurs africaines auxquelles vous tenez ?
Il y en a tellement, je ne peux pas tout citer ! Mais j’aime nos secrets, nos plats culinaires qui guérissent comme le . Beaucoup de jeunes, dans la capitale, ne l’aiment pas parce qu’il vient du village, mais il guérit ! Donc, on doit le garder ! Il y a aussi les tenues vestimentaires, la spiritualité. Et les instruments. Nos instruments traditionnels sont en voie de disparition. Je constate que parfois, depuis l’arrivée des boites électroniques, les jeunes artistes enregistrent en une nuit des chansons qu’ils sortent trois jours après et qui font des millions de vues sur internet en une seconde ! Alors que nous, on met six ou sept mois à faire une chanson ! Les choses vont vite et c’est bien, mais j’ai peur que la kora, le ngoni, le balafon disparaissent ! Qui dit Mali, dit ces instruments traditionnels. Si on les perd, ça va beaucoup affecter notre dambe ("dignité" en bambara, NDLR). Je critique aussi parfois quand je vois nos frères et sœurs qui veulent ressembler à Puff Daddy ou Beyoncé. C’est dommage, c’est à nous d’ouvrir les bras, d’accueillir nos frères et sœurs comme je le fais avec Angie Stone (avec qui elle chante en duo Somaw, NDLR), de les emmener vers notre culture et de partager avec eux le peu qui nous reste de nos ancêtres. Si on veut leur ressembler, ils n’ont plus rien à apprendre de nous.

 

Mais vous n’êtes pas passéiste. Yemi Alade avec qui vous chantez Tolon et le rappeur ghanéen M. anifest qui vous accompagne sur Mogokan sont des artistes de la jeune génération !
Bien sûr. J’ai travaillé avec M. anifest sur African Express de Damon Albarn. J’avais gardé un bon souvenir de ce rappeur, très digne et engagé. Je m’étais dit "si un jour je fais appel à un rappeur, ce sera lui", parce qu’il n’est pas un de ces rappeurs qui veut ressembler aux Américains. Il a un message authentique et moderne. Je ne suis pas accrochée au passé, mais je garde ma langue et une dignité dans les textes. Tout ça fait partie du Dambe. M.anifest est très digne dans ses écritures. Yemi pareil, elle ne fait pas de buzz avec son image. Elle n’expose pas sa famille, elle est concentrée sur la musique. Je pense qu’elle pourrait être un bon exemple pour les futures chanteuses.

Somaw est blues comme beaucoup d’autres morceaux du disque. Pourquoi ?
La musique malienne et ses instruments, le balafon, le ngoni, le bolon, nos guitares du désert, sont basés sur le blues. C’est une musique à partir de laquelle on peut s’adapter sur de nombreux genres comme le rock ou la pop. Somaw parle de la séparation, quand je pars de la maison et que je quitte mes petits bouts pour un long moment… J’y parle de la vie familiale que je n’ai pas. Je n’ai pas grandi avec mes parents génétiques et j’ai l’impression de répéter la même chose, c’est une culpabilité. Beaucoup de femmes se remettent en question avec la maternité. Beaucoup se sacrifient. J’explique à mes mômes que c’est dur, mais que j’ai un rôle à jouer et que je chante pour eux.  Il faut des femmes leaders. Il n’y a pas beaucoup de femmes dans les festivals, il doit y avoir des femmes sur scène.

Actrice, chanteuse, guitariste, compositrice, autrice. De quoi rêvez-vous ?
J’aimerais être réalisatrice. J’aimerais aborder des thèmes très lourds de façon simple et efficace pour faire changer les choses. On a beaucoup à faire pour améliorer la place de la femme, l’éducation… C’est à des femmes comme moi qui n’ont pas fini mariées de force de sauver la génération future, de dire aux jeunes filles qu’elles peuvent devenir quelqu’un. Oui, j’ai envie de créer des héroïnes africaines.

Fatoumata Diawara London Ko (3e Bureau/Wagram) 2023

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