Christopher Kirkley de Sahel Sounds, donner de la voix au Sahel

Ahmed Madassane en studio avec Christopher Kirkley. © Michaël Oliveira Da Costa

Parti explorer cette zone d’Afrique trop peu connue sur la scène musicale entre 2007 et 2009, le directeur du label américain Sahel Sounds Christopher Kirkley a une mission : mettre la lumière sur les artistes de cette vaste région, et leur permettre de vivre de leur musique. Avec un modèle solidaire et voulant toujours aider au développement des compétences à l’échelle locale, le natif de Portland a réussi à s’imposer comme l’un des acteurs majeurs de la scène indépendante, et voit son influence grandir, encore et toujours, à l’heure où les sons du Sahel attirent de plus en plus la curiosité des fans de musique. Portrait.

Environ 10 000 kilomètres séparent Portland et Nouakchott. Alors qu’il réside dans cette ville d’Oregon, Christopher Kirkley décide, en 2007, de faire le grand saut et de se rendre dans le Sahel, après être tombé amoureux des sons de la région, qu’il écoute en boucle chez lui. Un voyage qui va changer sa vie à jamais. "J’ai commencé à écouter du Vieux Farka Touré, et plusieurs artistes de la région, ça a été une véritable révélation. Je voulais aller sur place et voir comment la musique impacte les gens. J’ai donc plié bagage pour Paris, puis pour le Maroc, avant d’entamer mon périple en Mauritanie", se souvient-il comme si c’était hier.

De l’ouest du Sahel, Kirkley se déplace avec son sac à dos et sa guitare, part à l’aventure, et enchaine les rencontres sur son chemin, dort chez l’habitant et vie au gré du vent et de ses envies, sans contraintes. "Je ne planifiais rien, je pouvais passer quelques jours où quelques semaines à un endroit, dans une ville ou un village au milieu de nulle part. Je voulais vivre une expérience humaine à travers la musique sans penser au temps", précise-t-il.

Il traverse d’abord la Mauritanie, puis, un soir d’automne, alors qu’il souhaite entrer sur le territoire malien, il est accueilli par un militaire qui lui offre une chambre pour passer la nuit. Au matin, surprise : "J’étais dans mon lit, j’ouvre les yeux : toute sa famille me regardait en attendant que je me réveille !", rigole-t-il, "ils avaient vu que j’avais une guitare, et voulaient me voir en jouer, étaient curieux d’écouter mes sons. C’est l’un des meilleurs moments de mon voyage" se rappelle-t-il.

Une immersion dans les mondes musicaux de la Mauritanie au Niger

Pour cet Américain qui ne maîtrise pas vraiment la langue française, une certaine curiosité l’entoure, et il relate ses aventures sur un blog "très peu lu, mais suivi par quelques passionnés", afin de documenter son expérience sahélienne. Il découvre les musiques du Mali, du Burkina Faso, du Niger. Il transporte avec lui un enregistreur audio portable, afin d’aider les musiciens et artistes qu’il rencontre à avoir une copie de leur production, et vit, dort, mange et s’immerge à temps plein dans les mondes musicaux, que ce soit à Tombouctou (Mali), Agadez (Niger) ou dans des villages ou caravanes de Touaregs, qui lui permettent d’apprendre sur les différentes cultures et modes de vies de la région.

"J’ai appris que cette région du monde possède une diversité unique, et une hospitalité qui m’a marqué à jamais", précise-t-il, avant d’ajouter : "l’amour pour la musique que j’ai ressenti durant mes années là-bas montre que c’est un lien entre les peuples, un vecteur de compréhension entre les personnes même si on ne parlait pas la même langue". En 2009, il décide de rentrer au pays, des souvenirs et des sons plein la tête. Il ne le sait pas encore, mais son expérience au Sahel va guider sa nouvelle vie.

 

Kirkley retrouve sa vie dans l’Oregon, mais se pose des questions sur "l’après" de son voyage africain. Sa tête est encore bercée par les sons du Sahel, les riffs de guitare, les mélodies enivrantes. "Peu de temps après mon retour, j’ai rencontré une personne d’un label indépendant à Portland qui m’a dit 'Pourquoi tu ne montes pas le tien ?'", précise-t-il, "il avait bien vu que ce voyage m’avait marqué à jamais, et qu’il y avait quelque chose à faire avec les musiques de cette région du monde, qui étaient, il y a plus de dix ans, à des années lumières d’intéresser beaucoup de monde ici" rigole-t-il.

Une attention croissante pour les musiques du Sahel

Il lance Sahel Sounds, et commence à travailler avec des artistes avec lesquels il avait créé des liens durant son voyage. Il voit son entreprise comme une passion, comme un projet pour aider à la promotion des musiques de cette région, trop peu connues à l’échelle mondiale, et suit une ligne de conduite claire et égalitaire avec ses artistes. "Il fallait expliquer à certains qu’ils pouvaient gagner de l’argent, même si pour certains d’entre eux, la notion de monnaie n’est pas quelque chose de fréquent dans leur mode de vie", souligne-t-il, "et j’ai précisé que les profits seraient partagés à égalité, de manière équitable mais aussi, ce qui est différent du reste du monde des labels indépendants aux États-Unis, ils restent et seront toujours propriétaires de leur musique. J’y tiens beaucoup, c’est très important pour moi encore aujourd’hui".

Kirkley permet l’éclosion d’artistes comme Mdou Moctar, Kader Tahranin, mais aussi Tallawit Tombouctou, et les Filles de Illighadad de ce côté de l’Atlantique, en se rendant au Mali et au Niger entre autres, mais aussi en les faisant venir aux États-Unis, pour les aider à enregistrer leurs musiques. L’aventure Sahel Sounds grandit année après année, et l’entreprise prend une autre dimension, bien loin du petit projet individuel démarré en 2009. "On a pris une grosse ampleur, avec des tournées américaines, européennes, dans les quatre coins du monde pour ces artistes ! On a réussi à faire connaître les musiques du Sahel partout dans le monde" constate-t-il, ajoutant que "le marché américain, aussi complexe soit-il, donne maintenant de plus en plus de place aux artistes africains, et cela nous aide à continuer à avancer".

Kirkley, qui entame sa quinzième année à diriger le label, poursuit sa mission, en insistant sur l’intérêt de former localement des producteurs, mixeurs et musiciens, pour développer les compétences des talents qui veulent travailler dans la musique aux quatre coins du Sahel. Les challenges sont constants, mais l’Américain ne lâche rien, garde le cap malgré quelques vents contraires. "Entre l’instabilité dans cette région du monde et le fait que certains pays, comme la France et les États-Unis par exemple, soient souvent réticents à l’idée de délivrer des visas de voyage aux artistes de cette zone, il faut toujours se battre. Je sais que le meilleur est à venir, et je continue ma mission, toujours avec la même passion", conclut-il. 

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