Ces albums africains qui ont traversé le temps : 2004, Amadou et Mariam [4/5]
Il y a 20 ans, Amadou et Mariam offraient à la musique malienne une visibilité médiatique inédite à l’échelle internationale avec l’album Dimanche à Bamako. Produit par Manu Chao, dont la présence à tous niveaux témoigne de son implication, il met en avant l’univers du couple de musiciens non voyants tout en le sortant de son registre habituel.
Le changement de statut a été aussi radical que rapide. Dans la carrière d’Amadou et Mariam, il y a un avant et un après Dimanche à Bamako. Pas d’effet « tube » à proprement parler, car aucune chanson n’a atteint des sommets de ventes, contrairement à ce qui avait pu se produire par exemple pour Mory Kanté avec Yeke Yeke à la toute fin des années 1980. Ici, la dynamique s’est avérée plus horizontale que verticale : l’album dans sa globalité s’est imposé, comme le reflète le disque de platine obtenu en quelques mois (300 000 exemplaires vendus, chiffre considérable pour l’époque) et le trophée de la Victoire de la musique décroché en 2005. Deux décennies plus tard, un certain nombre de morceaux qui figuraient dessus sont toujours sur la setlist du groupe en live, tant ils font partie de la mémoire collective, à l’image de La Réalité ou encore Beaux Dimanches, avec ce refrain entêtant qui a donné son titre à l’album.
La discographie de ce duo mixte souvent présenté comme le « couple aveugle du Mali » était déjà conséquente, depuis ses premiers enregistrements à Abidjan commercialisés en 1989. Avec Je pense à toi, en 1998, le binôme avait même connu un succès d’estime sur la scène internationale des musiques du monde. Sans comparaison avec la suite.
Une collaboration avec Manu Chao...
Estampillé Manu Chao, au propre comme au figuré puisque le nom du Franco-Espagnol est mentionné sur la pochette, Dimanche à Bamako est le fruit d’une rencontre qui s’entend dès les trente premières secondes, et dont on prend progressivement la pleine mesure, même lorsque l’ex-Mano Negra ne donne pas de la voix. Multicasquette (programmation, claviers, guitare, chant, écriture, composition...), il est d’ailleurs le producteur du projet auquel il apporte une couleur artistique, ces sonorités reconnaissables qui sont la patte de l’auteur de Clandestino.
L’histoire veut qu’il ait entendu à la radio un titre d’Amadou & Mariam alors qu’il circulait autour de Paris et s’en soit entiché, au point d’imaginer y glisser des interventions personnelles. Sans doute voit-il à ce moment-là un espace possible pour que tous trois puissent converser en musique. Fort de cette intuition, le voilà qui convie les deux Maliens en studio lorsqu’ils sont enfin mis en relation. Entre eux, le courant passe si bien qu’en six jours, une grande partie des quinze titres réunis sur Dimanche à Bamako voient le jour.
En complément, une deuxième étape se déroule par la suite sur le continent africain, dans l’antre de Manjul, musicien français et ingénieur du son installé dans la capitale malienne. « Une fois qu’ils furent chez Amadou et Mariam à Bamako, l’album commença à revêtir une forme africaine, avec l’aide de musiciens locaux comme le joueur de djembé Boubacar Dembélé », écrit Peter Culshaw dans l’ouvrage Clandestino, à la recherche de Manu Chao publié en 2016.
… et d’autres collaborations prestigieuses
Au cours des différentes sessions d’enregistrement, des musiciens de renom aux profils très divers sont venus contribuer à l’édifice : les frères Amokrane, Mouss et Hakim, membres de Zebda, pour des chœurs ; le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf, qui n’avait pas encore sorti son premier album ; Matu, longtemps aux claviers pour Indochine ; le pianiste malien Cheick Tidiane Seck, ami de longue date d’Amadou.
Exilé à Bamako à cette époque en raison de la guerre civile à laquelle son pays est alors confronté, le reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly souligne dans Politic Amagni la dimension militante sinon politique présente sur certaines chansons. Manu Chao réutilisera d’ailleurs une partie des paroles pour Politic Kills, sur son album La Radiolina en 2007 – à l’inverse, il recycle pour Senegal Fast Food avec Amadou et Mariam celles de son morceau La Vie à 2 inclus sur Clandestino (« Il est minuit à Tokyo, il est cinq heures au Mali, quelle heure est-il au Paradis ? »).
Avec ces bruits du quotidien (Taxi Bamako), de la rue (La Fête au village), ces enfants qui parlent (M’bifé Balafon), ces collages sonores habilement agencés, l’album s’écoute comme la bande-son d’un reportage audio suscitant des images : une déambulation colorée par la guitare très blues d’Amadou, expert en ce domaine, alimentée par les textes du duo malien dont la simplicité et la naïveté renforcent un sentiment de proximité qui résiste au temps.
Amadou et Mariam Dimanche à Bamako (Because Music) 1984
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