Les nouveaux horizons de Valérie Louri

Valérie Louri, "Transition" © DR

Valérie Louri se définit comme un OVNI dans le paysage musical antillais, même si elle est d’abord connue pour avoir rénové le style bèlè martiniquais, une musique de lutte créée par les esclaves en fuite. Après plusieurs voyages musicaux et cinq albums dont un Tribute to Edith Lefel, la chanteuse et danseuse martiniquaise prend encore un nouveau virage, pop-folk, avec son nouvel album Transition.

RFI Musique : Votre nouvel album s’intitule Transition, de quelle transition s’agit-il ?
Valérie Louri : C’est un mouvement à la fois intérieur et extérieur dans ma vie et dans le monde, qui se traduit dans ma musique : elle prend encore une autre direction. Je n’ai jamais voulu être formatée ni avoir des objectifs commerciaux, ça me permet de créer en tout liberté. Comme moi, ma musique évolue avec les rencontres et la vie. La pandémie m’a posée beaucoup de questions, et cette situation m’a aussi paradoxalement poussée à aller de l’avant, à prendre des décisions que j’avais souvent remises à plus tard. Ce projet a pris beaucoup de temps avant de voir le jour, et il s’est lui-même transformé au cours de sa création. A un moment, j’ai même dit stop car je trouvais que mon interprétation n’était pas au niveau des transformations du projet, que ma voix ne faisait pas assez corps avec la musique. Je me suis beaucoup remise en question. Avec mes musiciens, on a beaucoup fait et refait. On a achevé ce disque à distance, grâce aux nouvelles technologies, et ça aussi c’est une sacrée transition ! Je venais d’arriver en Martinique quelques jours avant que toutes les portes ne se ferment, mes musiciens étaient éparpillés en métropole. J’ai alors imaginé ce projet comme une vague qui irait vers le cœur du public, avec sincérité, authenticité, et rigueur.

Vous avez écrit ce disque, seule, sur un ukulélé, un instrument rarement utilisé pour composer ?
Le ukulélé est arrivé dans ma vie un peu par hasard. Mon mari m’avait offert une guitare, et je lui ai offert un ukulélé, mais finalement c’est moi qui me suis approprié l’instrument ! Et j’ai commencé à développer des mélodies avec, alors que, effectivement, pour la plupart des musiciens, le ukulélé c’est le plan B de la guitare ! Pour moi au contraire, jouer avec ces quatre cordes m’a ouvert à d’autres mélodies, à d’autres gammes, alors que j’avais tendance à rester dans les mêmes sonorités avec les six cordes de la guitare. Dans un deuxième temps, le travail avec mes musiciens qui viennent tous d’univers très différents comme la pop ou le jazz, m’a permis de bousculer encore les morceaux.

 

Votre profil est atypique pour une chanteuse. Vous avez repris des études de tourisme, vous avez étudié la danse dans la célèbre école new-yorkaise Alvin Ailey, et joué dans la comédie musicale Le Roi Lion, en quoi ces expériences nourrissent votre musique actuelle ?
J’ai toujours cherché à élargir mes compétences, ça crée un équilibre avec la musique, et ça me nourrit. Jusqu’à ma transition de vie à trépas, j’espère bien continuer à apprendre ! (rires). Et comme ma terre que je défends avec les métiers du tourisme, la danse fait partie de mon ADN. Je m’appuie sur la danse pour chanter et composer, et j’ai beaucoup appris avec la danse, notamment à New York. C’est là que j’ai commencé à mélanger nos traditions bèlè de Martinique avec le jazz. Et j’ai aussi beaucoup appris en travaillant presque 10 ans par intermittence au sein du spectacle Le Roi Lion. Ça demande une certaine rigueur. Aujourd’hui, pourtant, j’ai moins envie d’être regardée sur scène et plus envie de mettre la musique en avant. J’aimerais un jour m’affranchir des images et avoir un groupe représenté par des dessins par exemple, comme Gorillaz.

Dans votre "transition" artistique, il y a un avant et un après Le Roi Lion ?
Ça a été très formateur pour moi. Même si faire la même chose tous les soirs, c’est dur, mais j’ai beaucoup appris. Par exemple, j’ai réalisé qu’en chantant, je n’attaquais pas toujours la note précisément. Le directeur artistique m’expliquait que je faisais des ‘slides’, c’est-à-dire qu’au lieu de passer de la note la au sol, je "glissais" un la dièse par exemple. C’est fréquent dans le zouk et dans les musiques antillaises, mais je ne m’en rendais pas compte. Alors j’ai appris à chanter autrement. Il faut pouvoir évoluer en tant qu’artiste, c’était très riche ! A la fin d’une représentation, en voyant mes collègues hisser un drapeau jamaïcain, j’ai eu envie d’écrire le titre Hymne à la Martinique pour dire que je suis aussi fière d’où je viens. Et puis grâce à une collègue dans ce spectacle, j’ai découvert Les Doors et Jim Morrison. Ça a été un choc pour moi ! Je me suis demandée comment importer la vibration des Doors dans ma musique ? Comment faire pour que les choses aient un sens dans le mélange ? C’était le début d’une cogitation. C’était le début de la transition, et ce n’est pas fini !

Valérie Louri, Transition (Aztec Musique) 2021
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