Kamel El Harrachi, humble relève

Kamel El Harrachi en concert © C Brandon/Redferns

Pour fêter le mois de Ramadan et ouvrir son premier "salon de musique" de la saison, le musée du Quai Branly a accueilli le samedi 27 septembre Kamel Amrani, le fils du grand Dahmane "El Harrachi", relève discrète et convaincante du chaâbi algérien.

La fin du Ramadan approche. En attendant, ce samedi après-midi, les musulmans de France se préparent à fêter une 27e rupture du jeûne. La voix de Kamel El Harrachi, douce mais puissante, s’élève,

"nous veillerons ensemble jusqu’à l’aube" promet-il en arabe au public. Le musée du Quai Branly ouvre les portes de son premier "salon de musique" de la saison, et Kamel El Harrachi, fils de Dahmane El Harrachi, maître du chaâbi, y reçoit magistralement, pour une heure de pur chaâbi.

Héritage

Discret, rarement sur scène et visiblement surpris de voir l’amphithéâtre se remplir à cette vitesse, Kamel Amrani, dit "El Harrachi", a pourtant de qui tenir. Son grand-père était le muezzin de la grande mosquée d’Alger, son père fut l’un des maîtres du chaâbi, ce genre musical né dans les faubourgs de la casbah d’Alger au début du XXe siècle. Le chaâbi, signifie littéralement "populaire". Il est issu de la musique savante arabo-andalouse et de l’exode rural. Les paysans venus grossir les quartiers périphériques chantent leur quotidien, et inventent une musique nouvelle, festive, brute et travaillée, qui pénètre la casbah et devient vite un genre musical national à part entière.

Dahmane El Harrachi, en arrivant en France, popularise le genre dans les années 50 et prend la parole pour des milliers d’Algériens, dockers et ouvriers, loin de leur Algérie natale. Dahmane El Harrachi écrit notamment Ya Rayah ("Le voyageur"), repris par Rachid Taha avec le succès que l’on sait. Voilà pour le CV. Kamel Amrani a pris le nom de scène de son père en 1991 pour lui rendre hommage et poursuit depuis son apprentissage de la mandole et de la musique chaâbi.

Personnalité

Sur la scène de l’amphithéâtre du musée, il a décidé d’interpréter cinq morceaux de son père…et quelques-unes de ses propres compositions. A 35 ans, Kamel sort tout juste de studio et y a enregistré son premier album, forcément très attendu. Les yeux rivés sur sa partition, il entame Ghana Fenou, en hommage à Dahmane. "Il a chanté son propre style musical, il a apporté sa touche personnelle", chante-t-il en arabe tout en retraçant le parcours de sa vie. Un titre auquel il "attache beaucoup d’importance", choisi peut-être pour mettre subtilement les choses au clair : il souhaite lui aussi imprimer le chaâbi de sa personnalité.

Kamel El Harrachi fait partie d’une génération de jeunes musiciens attachés au genre chaâbi et soucieux de le voir évoluer avec son temps. Il a d’ailleurs introduit une contrebasse, un piano, et sur certains morceaux des congas. Il a aussi travaillé l’orchestration, et écrit ses propres textes, qui relèvent, comme ceux des anciens, "du social". "Le chaâbi parle de la vie des gens, de la société, de l’exil, de la trahison, de l’amour…" continue-t-il. Du public quelques youyous fusent, les battements de mains donnent la mesure ou s’effacent pour laisser toute la place à un dialogue sur le fil entre la mandole et le banjo, ou une modulation de voix…

En clôture, Kamel El Harrachi, chante le rugueux Ya Rayah, et fait chanter le public avec lui. Quelques jeunes femmes se lèvent pour danser, le public en redemande, et les musiciens lui offrent un dernier morceau. Il est 19h15 et Kamel El Harrachi et ses musiciens s’éclipsent enfin, pour rompre le jeûne et profiter une bonne partie de la nuit, d’une des dernières veillées du mois de Ramadan…