Rachid Taha, un dernier album avant de partir
Un peu plus d'un an après sa disparition, sort l'ultime album de Rachid Taha, intitulé Je suis africain, réalisé avec Toma Feterman, qui nous raconte l'aventure artistique que ce fut.
Un bandeau gris sur les yeux comme un signe de deuil sur un regard vivant, espiègle, curieux, passionné, furieux, généreux et fraternel à la fois, et cette bouille de mec partout chez lui, de mec pas tout à fait à sa place, de mec qui ne reste pas en place, de libéro qui désarçonne par sa simple présence, ce visage de Rachid Taha annonce Je suis africain, son dernier album, dix titres pensés, conçus et réalisés par Rachid Taha et Toma Feterman, dix titres validés de son vivant par l’artiste qui nous a quittés le 12 septembre 2018, il y a un an déjà.
Croisé à Marseille le 31 août 2018, à la veille de ce qui allait être son dernier concert, avec le CousCous Clan, le groupe qui le liait à Rodolphe Burger et à quelques-uns des musiciens (Hakim Hamadouche, Kenzi Bourras…) qui l’accompagnent depuis des années, "son armée mexicaine" comme il les appelait avec affection, Rachid Taha s’enflammait, vantant son prochain album attendu alors dans les mois à venir : "C’est un album travaillé de la tête au pied avec Toma Feterman. Toma, tu vois ? La Caravane Passe, Soviet Suprem !".
Rachid Taha était plus qu’enthousiaste, car s'il se savait attendu, comme à chaque fois. Il s’en moquait d’ailleurs d’une phrase, qui dans une autre bouche aurait fait hurler : "Toma est juif, Mon manager – Yves Aouizerat - est juif, si avec tout ça, je n’en vends pas !" Éclat de rire et fin de la plaisanterie. Rachid savait provoquer. "Qui m’aime me juive" était un de ses gimmicks préférés.
"Rachid est un sismographe…"
Antiraciste dans l’âme, il pouvait tout oser et n’avait de leçon à recevoir de personne. Sa vie, ses combats depuis son arrivée en France, son enfance dans l’est de la France, ses années adolescentes à Rillieux-la-Pape et les suivantes dans la capitale des Gaules où naquit Carte de Séjour, puis celles parisiennes et sa carrière solo, résonnent aujourd’hui qu’il nous a quittés, comme un continuum d’attention, d’amour, d’ouverture au monde.
Lui qui ponctuait si souvent ses phrases d’un chaleureux "habibi" est parti sans prévenir après avoir bouclé les 10 plages de Je suis africain, un album, "son dernier" précise Toma Feterman avant d’ajouter : "il n’y a rien de posthume ici, il avait tout entendu, tout validé. On a juste repris un poil le mix pour qu’il sonne un peu moins brut !".
Pour l’accoucheur et réalisateur de l’ultime album du décloisonneur des Lilas (ville où il s’est éteint le 12 septembre 2018, à quelques jours de son soixantième anniversaire) des suites d’une maladie qui l’handicapait depuis des années : "Rachid était un sismographe, il avait des antennes. Il ressentait les secousses du monde. Qui, plus est, si je parlais de lui à quelqu’un à l’autre bout du monde, il m’envoyait un SMS ou m’appelait dans la foulée" raconte-t-il, sans autre explication.
"Laisse tout branché…"
Rachid et Toma se sont rencontré il y a un peu plus de 10 ans par le biais de Philippe Jupin, le programmateur de La Bellevilloise et co-responsable avec Renaud Barillet du label Juste une Attitude qui produit entre autres, les albums de la Caravane Passe.
"Philippe avait fait écouté à Rachid les maquettes d’Ahora in da Futur, notre troisième album. À deux heures du mat, Rachid m’a appelé pour me dire qu’il voulait chanter sur un des titres. C’est ainsi qu’est né Perdu ta langue. Après, on se croisait parfois en concert, il venait chanter un titre et puis c’est tout" résume-t-il pour faire vite.
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"À la mort de Rémy Kolpa Kopoul - journaliste, DJ et connexionneur comme il aimait se définir - qui comptait beaucoup pour nous deux et pour la musique en général" ajoute-t-il, "on s’est retrouvé lors de l’hommage au Jamel Comedy Club. J’avais un embryon de chanson pour lui et lui ai proposé de venir l’écouter chez moi." Ce qui est rentré dans une oreille n’est manifestement pas ressorti par l’autre.
"Le lendemain, il m’appelait et passait dans la foulée. Ça lui a plu. On a enregistré dans la foulée (Baba sur Canis Carmina, le cinquième opus de La Caravane passe, ndlr). Quand on a fini, il me dit : laisse tout branché ! On va créer maintenant ! Une chanson, puis deux… on a créé 12 titres dans la nuit. C'était le début de son dernier album. Certaines sont encore là. Un tiers de l’album a vu le jour ce soir-là. Il y a des voix (Happy End, Andy Whaloo), qui étaient si bien, qu’on ne les a pas refaites. Après dans l’année qui a suivi, parfois, il m’appelait. On se retrouvait chez moi et on bossait sur des idées, sur des titres en devenir, sans pression, jusqu’au jour où il m’a demandé de finaliser deux titres (Minouche et Je suis africain) pour les présenter à son label. En deux nuits, les titres étaient bouclés. Le label, emballé, me proposait alors de devenir réalisateur de l’album, co-composé avec Rachid. J’ai fini par accepté, parce qu’il était clair pour Rachid comme pour Yves, son manager, qu’il ne pouvait en être autrement, que je n’avais pas le choix" confie-t-il avant d’ajouter. "C’est une des plus belles aventures de ma vie."
Rachid Taha Je suis africain (Naïve/Believe) 2019