"Divas d’Oum Kalthoum à Dalida" : l’âge d’or des artistes orientales
Qu’elles soient comédiennes, réalisatrices, danseuses, chanteuses ou tout cela à la fois, du Maghreb au Caire en passant par Paris, les icônes du monde arabe sont mises à l’honneur dans une exposition chatoyante et immersive qui vient de s'ouvrir à l'Institut du monde arabe à Paris.
C’est par un long rideau de fils sur lesquels sont projetés des photographies en noir et blanc que le visiteur pénètre dans l'exposition Divas. La technologie, au service de ces images surannées, a quelque chose d’extrêmement envoutant et touchant. Oum Kalthoum, Warda, Fayrouz, Samia Gamal, Asmahan, Dalida. Leurs visages semblent surgir du passé pour nous raconter des histoires lointaines, les leurs, à l’apogée de la nahda, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la mort du président égyptien Nasser en 1970.
C’est là, en plein panarabisme, que les pionnières de la scène arabe, qui rêvent d’émancipation, s’emparent des scènes de théâtres et des plateaux de cinéma. C’est surtout au Caire que tout commence avec l’émergence des cabarets dans lesquels se produit notamment Mounira al Mahdiyya, la première musulmane à apparaître sur scène. La Damascène Badia Massabni (1892-1974) fonde des salles de spectacle. S’y produisent des danseuses de Raqs sharqi (littéralement danse orientale), une danse ancestrale de la fertilité, qu’elle modernise, sensualise et rend populaire. Ces artistes glamour, aux tenues chatoyantes, accompagnent aussi le développement du cinéma égyptien, surnommé "Hollywood sur le Nil".
Des divas dans des écrins de velours
Les films sont souvent chantants. Le vedettariat oriental est né et ses productions attirent au Caire, dès les années vingt, des artistes venus de tout le monde arabe. C’est le cas d’Asmahan dont la voix de cristal d’une infinie tristesse rivalisait avec celle d’Oum Kalthoum- au point que cette dernière sera un temps soupçonnée de l’avoir fait assassiner. La sœur de Farid El Atrache est une princesse des montages de Syrie.
Comédienne, chanteuse, espionne, mère de famille, elle périt dans un mystérieux accident de voiture à 29 ans. La partie qui lui est consacrée se situe dans un espace qui évoque l’atmosphère du roman noir.
Sur les 1000 mètres carrés dévolus aux Divas, chacune des artistes auxquelles l’exposition est consacrée dispose de son écrin. Paradoxalement, c’est derrière un rideau de velours rouge, dans un espace feutré simulant une loge que se trouve l’espace dédié à la grande Oum Kalthoum.
La chanteuse, fille d’un imam de la campagne égyptienne, reconnaissable entre mille à ses lunettes noires, son foulard au poing et ses tours de chants qui duraient très longtemps, fut la première femme du monde arabe à faire une immense carrière. Elle lève une partie de son mystère à travers des photographies, quelques reproductions d’effets personnels, des extraits de chansons et surtout d’interviews. On y voit combien l’engagement politique et panarabique de celle qui cessa de chanter à la mort du président Nasser, était grand.
C’est le cas également de la chanteuse algérienne Warda à laquelle est consacrée la loge suivante. C’est enfant, à Paris, que cette dernière, commença sa carrière, avant que ses parents, propriétaires d’un cabaret, n’en soient chassés, accusés de livrer des armes au Front de Libération National algérien (FLN). Des valises, des passeports illustrent sa vie. Soulignant que les carrières de ces chanteuses furent parfois liées à l’exil, qui peut aussi être intérieur. Comme celui de Fayrouz. Pochettes de disque, affiches de film et extraits de concert et de comédie musicale illustrent la carrière de celle qui resta fidèle au Liban, mais cessa d’y chanter lorsque le pays sombra dans la Guerre civile.
De l’aube au crépuscule
La dernière diva, c’est bien sûr Dalida. D’origine italienne, née au Caire en 1933, elle y débuta sa carrière au cinéma, dans Cigara wa kass (Un verre et une cigarette) où elle jouait la rivale de la danseuse Samia Gamal. L’exposition revient sur la partie égyptienne de sa vie et s’achève sur une évocation du Sixième jour, de Youssef Chahine, dont elle joua le rôle principal, quelques mois avant son suicide, en 1987. Cette évocation est celle d’un crépuscule.
Sa mort souligne, selon la chronologie dessinée par les commissaires de cette foisonnante exposition, la fin d’une époque. Ainsi la fin de l’exposition montre-t-elle des salles de cinéma désertes. Youssef Nabil célèbre la danse orientale -en voie de disparition dans les pays arabes- dans une vidéo langoureuse et décalée, I saved My Belly Dancer (2015). Shirin Abu Shakra propose quant à elle une installation dans laquelle au son de la chanson d’amour Sulayma (1959) passés et présents se confrontent.
Au-delà du crépuscule, l’on observe en quoi ces femmes audacieuses fascinent les artistes contemporains. Cela s’exprime à travers une installation de Lamia Ziadé. Le duo libanais Randa Mirza et Waël Kodeih clôt Divas avec une installation sous forme d’hologrammes. On y voit danser les grandes Tahiyya Carioca et Samia Gamal, sur une musique onirique et envoutante, composée à partir de morceaux extraits de films égyptiens. Les voix des divas du monde arabe chantent encore. Comme un vent, très lointain, de liberté, qui ne voudrait jamais s’éteindre.
Exposition Divas D’Oum Kalthoum à Dalida, Institut du monde arabe de Paris du 19 mai au 26 septembre 2021.