Souad Massi et Fouad Didi au festival Arabesques : les musiques d'Algérie, savantes et populaires

Souad Massi et son groupe au festival Arabesques, septembre 2021. © RFI/Anne-Laure Lemancel

Du 7 au 19 septembre, se tenait à Montpellier, au Domaine d'Ô, le festival Arabesques. Le 18 au soir se succédaient deux artistes algériens : le maestro des musiques arabo-andalouses Fouad Didi, et la divine diva folk Souad Massi.

Un violon au son pur s'élance sur les notes en pluie du oud, sur les roulis délicats du tambourin riqq. Un silence religieux plane sur le théâtre Jean-Claude Carrière, dans l'écrin enchanteur du Domaine d'Ô, à Montpellier, au cœur d'une pinède reconvertie en médina, aux décors des 1001 nuits.

Samedi 18 septembre, au festival Arabesques, le violoniste et chanteur Fouad Didi, maître émérite de la grande musique arabo-andalouse, et son quintette, l'orchestre Tarab, tiennent le public en haleine, avec cette introduction à l'une des 13 noubas algériennes...

Au fil de sa représentation, l'artiste construira son répertoire entre des musiques savantes codifiées, héritées de traditions strictes, depuis le XIe siècle, et des morceaux populaires, dont des pièces de chaâbi. Dans la salle s'envolent des youyous gorgés de joie, et une troupe de femmes, foulard autour de la taille, ondulent des hanches, et chantent en chœur. Entre deux morceaux, le maestro livre des explications musicologiques sur les modes, les noubas, les rythmes … "Pas simple !", s'exclame, dans la pénombre, une spectatrice.

Car si Fouad Didi sait galvaniser son auditoire, le réveiller, le faire danser, à la façon des plus grands chanteurs populaires, il n'en reste pas moins fidèle à la tradition et respectueux de son exigence. Né à Tlemcen, il intègre à douze ans, sous l'impulsion de son père, membre d'une confrérie et d'un frère musicien, une école de musique arabo-andalouse où il joue percussions, mandoline, violon, sous l'égide d'un maître. "Une transmission orale, sans partition, rappelle-t-il. L'enseignement dépassait la seule musique, pour aborder aussi les plans philosophiques, l'éducation, etc."

© RFI/Anne-Laure Lemancel
Fouad Didi au festival Arabesques, septembre 2021.

 

La nouba au conservatoire

En 1991, Fouad Didi, judoka, débarque en France, pour devenir prof d'EPS. Pourtant, sa passion première poursuit ce Marseillais d'adoption, fan de pêche sous-marine : la pratique et la transmission de la musique. Au final, il passe ses diplômes pour enseigner à temps plein les musiques arabo-andalouses, aux conservatoires de Toulon, de Toulouse, à la Cité de la Musique de Marseille, etc.

"Je suis ravi que ces musiques, souvent considérées à tort, ici, comme, traditionnelles, entrent de plain-pied dans cette institution qu'est le conservatoire, dans l'antre 'sacré' de la musique classique occidentale, remarque-t-il. Entre ces deux musiques 'savantes' pour moi, il existe des connexions évidentes : nos modes peuvent s'adapter à Mozart, trouver des passerelles avec le baroque… Des racines communes !"

Et ici, dans le sud de la France, Fouad Didi transmet les musiques classiques orientales, comme son maître les enseignait. Avec amour et rigueur. Ce soir, son orchestre porte bien son nom : "Tarab". Car, après 2h00 de spectacle, le public n'est pas loin de toucher du doigt cette fameuse "extase"…

Souad Massi, chants politiques

La veille, Abdelaziz Bouteflika, président de l'Algérie de 1999 à 2019, disparaissait. Si Fouad Didi, peu enclin à parler politique, se refuse à évoquer le sujet, l'une de ses compatriotes, ici présente, assume ses propos. D'un ton catégorique, la chanteuse Souad Massi confie : "Je n'éprouve aucune émotion ni empathie quant à son décès. Bouteflika porte une responsabilité énorme dans le chaos actuel de mon pays, et je lui en veux. Il a placé au pouvoir son double. Les hommes, les figures changent, mais le système demeure. Heureusement, en une lueur d'espoir immense, mon peuple s'est soulevé et a révélé au monde entier sa patience, son courage, sa soif de liberté…"

De sa terre française où elle réside depuis 1999, Souad Massi tâche de participer, elle aussi, au mouvement, en chansons. Ainsi, sur son disque Oumniya ("Mon souhait"), la chanson Fi Bali s'impose comme une critique virulente, à coup de métaphores bien senties, du pouvoir de Bouteflika.

Contrairement à Fouad Didi, l'Algéroise a grandi en opposition aux musiques classiques orientales. "À l'adolescence, je rejetais ces sons en bloc. J'étais très en colère. En colère que les femmes de mon pays ne bénéficient pas d'un minimum de liberté. En colère contre l'extrême pauvreté dans une terre aussi naturellement riche. Je ne comprenais rien au fonctionnement de ma patrie !'

À l'inverse, parce que sa mère l'imagine en future chanteuse d'opéra, Souad grandit dans la musique classique occidentale, apprend la guitare à l'association des Beaux-Arts, rêve de Mozart, de Beethoven… Dans ses oreilles d'enfants ? Piaf, des musiques africaines, turques et beaucoup de folk.

Une musique voyageuse et intime

Finalement, lorsque Souad Massi commence à forger sa propre bande-son, depuis son exil français, elle assemble ses influences, se recrée une patrie au cœur de sa musique voyageuse, tissée de folk, de mélopées et de rythmes orientaux, de touches de flamenco, de fado…

La chanteuse crée une musique "populaire" au sens le plus noble du terme : "Je suis dans l'instinct, dans l'instant, dit-elle. Je compose de manière spontanée, sans codes ni formules mathématiques…" Et puis sur ses sons vagabonds qui disent si bien l'exil, la nostalgie, mais aussi l'espoir, elle chante, dans sa langue, ses expériences personnelles, intimes, son quotidien, qui trouvent finalement leur résonnance en chacun de nous.

Et parce qu'elle se "met à nue", qu'elle se "dévoile entièrement" quand elle chante, l'artiste se sent à chaque fois prise d'une peur panique avant de monter sur scène. Juste avant sa prestation à Arabesques, elle avouait : "Je n'ai jamais réussi à surmonter ce trac. Et pourtant j'adore la scène. Je suis en colère contre moi-même, parce que je me dis à chaque fois que je ne vais pas donner le meilleur. Je m'étonne d'être parfois aussi impudique dans mes chansons, et aussi apeurée de chanter devant une assistance…"

Un concert magistral sous la pluie

Pourtant, lorsqu'elle foule les planches, ce soir-là, de l'amphithéâtre d'Ô, 2000 places en plein air, Souad Massi, positionnée en fonds de scène comme ses musiciens, rayonne d'une présence intense, solaire, lumineuse, à l'image de sa voix limpide et sincère : une voix qui ne ment pas. Et son concert, intense et magnifique, agit comme un voyage, défile comme une succession de moments précieux, opère comme un sortilège cousu d'émotions justes et d'arrangements à la grâce infinie.

Le public, subjugué, chante en chœur, l'acclame à tout rompre, hurle le nom de la diva du soir, humble et puissante, fragile et radieuse. La pluie tombe sur l'amphithéâtre, et sur les joues des spectateurs… Mais le chant et la magie ne s'arrêtent pas. Jusqu'à la dernière chanson, Souad Massi tient le public dans le creux de ses mains, dans le creux de son chant. Universel et bouleversant.

Site officiel d'Arabesques
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