Douce France, une exposition au son de l’immigration maghrébine

Le chanteur Rachid Taha © Photo by Eric CATARINA/STILLS/Gamma-Rapho via Getty Images

Des "cafés immigrés" et du cabaret oriental jusqu’aux prémices de la culture rap. L’exposition Douce France. Des musiques de l’exil aux cultures urbaines se tient jusqu’au 8 mai au Musée des arts et métiers, à Paris. Avec pour fil rouge Rachid Taha, elle fait le lien entre l’immigration maghrébine et l’explosion des musiques métissées en France depuis les années 1960.

Un mur de téléviseurs qui diffuse Ya Rayah chanté par Rachid Taha et repris à l’unisson par des anonymes. Plus loin, des photos grands formats de rapatriés d’Algérie qui arrivent en France en 1962 et d’immigrés retournant au pays. En quelques images à peine, l’exposition Douce France. Des musiques de l’exil aux cultures urbaines nous amène au cœur de son propos.

"Cette Douce France qui s’enrichit, absorbe et profite d’apports culturels venus d’ailleurs...Tout cela nous est familier, même si cela a quelques décennies, explique l’historienne Naïma Huber Yahi, co-commissaire de l’exposition. Contrairement aux discours de société anxiogènes sur une insécurité culturelle ou une identité fracturée, on a simplement voulu rappeler qu’il y avait de la douceur dans ce phénomène de multiculturalisme. " L’exposition n’oublie pas les lendemains du colonialisme, le racisme et les mouvements d’identités, mais elle s’attache surtout à la musique.

Rachid Taha, fil rouge de l’exposition

Son parcours débute au lendemain de la Guerre d’Algérie. Les cabarets orientaux réunissent dans un décor de palais d’orient la bonne société parisienne : ambassadeurs, hommes politiques, acteurs en vogue… Dans les quartiers d’immigrations des grandes villes, les "cafés immigrés" témoignent d’une tout autre réalité. "Les artistes jouaient parfois dans les deux endroits. Dans les cafés immigrés, les chanteurs de l’exil chantent pour leurs camarades d’exil, les ouvriers. Le seul loisir, le seul centre social, c’est le café. On vient se saouler, écouter et pleurer sur des chansons qui racontent la douleur de l’exil. Mais les Français ne viennent pas", explique Naïma Huber Yahi.

Les chanteuses et chanteurs de l’exil restent encore peu connus du grand public. Mais des figures émergent comme Warda, Noura, Louisa Tounsia ou Dahmane El Harrachi. Les grandes maisons de disques produisent des disques et des scopitones. Un tournant intervient avec la multiplication de crimes racistes qui suivent le choc pétrolier de 1973 et les prémices d’une mobilisation.

▶ À lire aussi : Musiques de France, musique de la diversité

Mais ce sont les années 1980 qui marquent une réelle affirmation des jeunes "beurs" comme on les nomme alors. En 1983, la marche pour l’égalité et contre le racisme est baptisée par les médias "marche de beurs". Cette décennie, celle de la sono mondiale, voit l’émergence du groupe Carte de séjour et de son chanteur, Rachid Taha.

Au-delà du titre, référence à la reprise de Douce France, le fil rouge est Rachid Taha. Pourquoi ? "Rachid a été la figure de proue de cette génération beur. Il est le chaînon manquant entre les 'beurs' et les travailleurs immigrés. Il n'y a pas plus rockeur que lui… Mais sa discographie oscille entre la réappropriation du patrimoine et la création d’avant-garde. Il fait connaître au monde entier le répertoire des chansons de l’exil de France. Ces chansons ont été écrites, créées et diffusées depuis la France", appuie Naïma Huber Yahi.

 

© Hors cadres / Meliyart
L'exposition "Douce France", au musée des arts et métiers, à Paris

 

Avant l’explosion du rap

D’une décennie à l’autre, d’une salle à l’autre, se dessine la réalité matérielle des immigrés grâce à leurs objets. On retrouve une 504 Peugeot, un appartement et ses meubles en formica, une vieille mobylette… Sur de longs rideaux blancs, sont diffusés des images.

Les murs d’affiches rappellent les concerts et les festivals qui ont marqué l’époque. Au sol, on peut lire des paroles des chansons. Ces installations sont complétées par les téléviseurs qui donnent à voir et à entendre des interviews de chanteurs ou d’acteurs de l’époque. Si l’exposition se révèle très vivante, on regrette en revanche que les archives et la bande-son soient moins bien audibles.

La chronologie s’interrompt au seuil des années 2000, avec une France "black-blanc-beur" qui vibre au son du Tomber la chemise de Zebda. L’explosion du rap n’est pas traitée complètement, ni des lendemains de fête qui déchantent. "Dans les années 1990, le beur glisse vers l’identité du jeune de banlieue. C’est là que naît la figure médiatique du jeune des quartiers. La silhouette des grands ensembles qui va prendre le pas sur la figure des jeunes maghrébins et qui va imposer l’esthétique béton. C’est pour cela qu’au sol, on a mis un danseur de breakdance", explique Naïma Huber Yahi.

Le parti pris des deux commissaires a été de créer des moments interactifs et c’est réussi. La visite se termine sur une grande salle où l’on peut faire un karaoké et danser. Il y a un hommage à Je suis africain, le dernier disque enregistré par Rachid Taha et paru post-mortem. Un dernier clin d’œil à un artiste tendre qui, plus qu’en France, aura fait entendre la voix des immigrés partout dans le monde.

Exposition Douce France. Des musiques de l’exil aux cultures urbaines jusqu'au 8 mai au Musée des arts et métiers, à Paris.