"Hals", les états d’âme d’Oum
Sa musique planante est très contemporaine et spirituelle. Après Daba (2019) dont l’envol a été stoppé par la pandémie, Oum retrouve la scène avec Hals. La Casablancaise y explore, avec le musicien cubain M-Carlos, sept "hals", des sensations universelles (telles que la peur ou le désir) qui nous ont traversées en mars 2020, lorsqu’une grande partie du monde fut mise sur pause. Un 5e album intime et envoutant.
Hals a commencé alors que la chanteuse, autrice et compositrice marocaine, était confinée, seule, à Casablanca. Pourtant, elle n’envisageait alors pas de faire de la musique, et encore moins à distance. "J’étais exaspérée par les gens qui faisaient des concerts chez eux, diffusés sur internet ! On en était submergés par ces vidéos. Loin de mes musiciens, je le vivais comme une frustration".
Avec un chaleureux sens de l’autodérision, Oum nous explique en riant que l’introspection était inévitable. "Une fois qu’on a peint, rangé tous ses placards, fait du yoga, passé des coups de téléphone, je me suis dit : tiens, et si on écrivait un peu ? Je ressentais des émotions connues, mais de façon beaucoup plus intense. Je voulais visiter et comprendre ce qui se passait en moi. Ce n’est pas spirituel, c’est presque biologique !" (Rires).
C’est donc assez naturellement que le premier état qu’elle a exploré, le Hal1, soit la peur. Peur de ne plus pouvoir voyager, de rester seule et peur de l’inconnu, bien sûr. Elle y raconte –en derija (l’arabe marocain), avoir erré "dans un temps désert/ des heures sans fin/dans ce temps qui s’étend/où tout est défendu". La musique, sur un rythme plutôt soutenu, est ensorcelante. Portée, comme tous les morceaux, par la Maschine (station de production autonome qui rassemble un sampler, une boîte à rythme et un synthétiseur, ndlr.) et le saxophone de M-Carlos avec lequel, contexte oblige, elle a innové.
Ping-pong artistique
"D’habitude, j’arrive en studio avec des textes et des mélodies très travaillées où j’ai déjà pensé aux instruments et aux musiciens qui vont les jouer, à ce qui les stimulerait, etc. Là nous avons travaillé à deux. J’avais besoin d’un miroir et d’un effet ping-pong".
Depuis Paris, M-Carlos s’attèle aux nappes sonores que lui envoie Oum. Il les travaille à la Maschine. "Le son synthétique, c’est complexe, mais ça permet d’aller plus loin que les mots, si poétiques soient-t-ils. L’idée n’était pas de faire des morceaux de musique, mais d’essayer de décrire musicalement ces états avec des sons qu’on peut visualiser et sentir dans la peau", raconte Oum.
Rapidement, le dialogue s’entame et les Hals s’enchaînent : le désir, la peur, la confusion, l’acceptation, etc. Et, plus étonnant, la "vérité" avec Truth, le cinquième Hal. La chanteuse explique. "Les gens qui vivent leur vraie vérité en cachette en temps normal, ceux que la société marginalise comme les mères célibataires, les transsexuels ou les homosexuels, étaient doublement enfermés, à la fois en eux et dans leur quartier. La santé mentale est la santé de tout le monde. Je pensais à eux, à la possibilité de dire la vérité. Dire la vérité, c’est une joie aussi. Comme une libération".
Échos –entre autres- de messages vocaux laissés à des amis, sur des états intérieurs, Acceptance ouvre sur une certaine relativisation, sur une ouverture aussi. On y sent que le plaisir de faire de la musique étreint et porte la chanteuse. S’écouter et écouter les autres élargit ses horizons. Musicalement et vocalement.
La voix puissante d’Oum, profondément marocaine, explore des nouvelles tessitures. Particulièrement sur Dream, rêverie céleste où elle exalte les révoltes nocturnes. "C’est vrai que je chante différemment. Cela correspond à une volonté d’accueillir d’autres formes d’expressions, d’autres tonalités, d’autres mouvements du corps, sans peur", raconte-t-elle.
Introspection
Même sentiment à l’écoute du Hal 7. Une invitation à l’empathie, qu’elle a écrite alors qu'elle était malade. "Je venais de m’installer à Paris et j’ai eu le Covid pour mon anniversaire, rit-elle. J’ai pris conscience de la chance que j’avais d’avoir un corps qui fonctionne et j’ai pensé à tous ceux qui naissent ainsi ou que la maladie attrape au cours de leur vie, parfois jusqu’au bout". Une exploration d’émotions autant mentales que charnelles donc.
De cette introspection mise en musique à deux émerge un disque d’une grande générosité. Profondément organique, porté par une musique et une voix puissantes, pulsionnelles et soyeuses, l’écoute de Hals donne autant envie de danser que de fermer les yeux pour méditer.
Oum & M-Carlos Hals (Ternaire productions/MDC) 2022