Festival Arabesques : les beaux jours des musiques "electrorientales"

Ammar 808, festival Arabesques 2023. © Léa Syhanath

Placé sous le signe de la transe avec un programme riche en formations de l’aire gnawi, la 18e édition du festival montpelliérain Arabesques qui dure jusqu’au 17 septembre, marque une nouvelle fois son intérêt pour les musiques "electrorientales".   

À l’annonce du séisme survenu dans la nuit de vendredi 8 à samedi 9 septembre au Maroc, l’émotion était perceptible dès le petit déjeuner dans les hôtels où résidaient artistes et journalistes conviés à cette 18e édition d‘Arabesques, mais aussi plus tard dans la journée au Domaine d’O où le festival s’installait pour un premier week-end. "Samedi, notre programmation était quasi essentiellement marocaine" confiait le lendemain Habib Dechraoui, le directeur du festival.

"Le midi, encore groggy par les évènements de la nuit, j’ai déjeuné avec les artistes programmés dans la journée (Asmâa Hamzaoui, Aziz Sahmaoui et ceux de la carte blanche au festival d’Essaouira) et leur ai posé la question de l’annulation. Unanimement, ils ont tous voulu monter sur scène. On a tout de même décidé d’annuler le DJ-set de Martin Meissonnier et la déambulation en ville trop festifs à nos yeux, au moment où le Maroc était frappé par le deuil. Après leur concert respectif, les musiciens se sont retrouvés pour une cérémonie, un moment dur et émouvant.".

Arabesques Sound-System

C’est sous cette appellation que cette édition placée sous le signe de la transe avait convié le label lyonnais Shouka Records à souffler jeudi soir à la Halle Tropisme, sa dixième bougie, quelques jours après un évènement dans la capitale des Gaules. "Amoureux de musiques électroniques, de rythmes populaires et de fusions audacieuses" comme ils se définissent sur les réseaux sociaux, ces jeunes producteurs issus de la diaspora tunisienne prônent des réappropriations des musiques du monde arabe.

"La scène électrorientale est nouvelle pour ceux qui ne la découvrent qu’aujourd’hui" précise sous forme de boutade Habib Dechraoui. "C’est une scène extraordinaire qui aujourd’hui a un profond respect des traditions. Elle rend hommage au patrimoine et lui apporte cette modernité tout en respectant les anciens". L’historienne, chercheuse associée à l’Université Côte d’Azur, Naïma Yahi reprend, elle aussi le terme de réappropriation : "Quand le duo de producteurs anglais Chemical Brothers sample Goul el hak el mout kaina par exemple, de la chanteuse marocaine Najat Aatabu il y a bientôt 20 ans, ils sont alors dans le futur, tout comme cette autre partie visible de l’iceberg à l’époque, le regretté Rachid Taha" complète Naïma Yahi qui a été commissaire de l’exposition Douce France consacrée à l’artiste décédé il y a tout juste cinq ans.

"Aujourd’hui, le futur est majoritairement écrit, composé par une nouvelle génération d’enfants de l’immigration. Ils nourrissent ce lien avec les racines tout en bénéficiant pleinement de la vitrine qu’offrent les réseaux sociaux. Ils connaissent les patrimoines et veulent les adapter, les partager pour qu’ils ne disparaissent pas. Pour que les plus jeunes se reconnectent avec les musiques des parents et que les parents se familiarisent avec les nouvelles sonorités". Ces propos constituent presque la charte non écrite du label lyonnais.

Mettre fin à l’hégémonie rythmique égyptienne

Si à 45 ans, Imed Alibi connait la chaleur et la moiteur des clubs, ce n’est qu’à titre personnel. Le percussionniste, fin connaisseur des rythmes tunisiens et plus généralement du monde arabe et par ailleurs conseiller à la programmation des journées musicales de Carthage, ne s’est jamais imaginé jouer au cœur de la nuit en club, en duo machines percussions.

Une jam pour accompagner l’installation d’un plasticien dans un hammam à Lyon l’amène à travailler avec le trompettiste, bugliste et tubiste français Michel Marre, la chanteuse burkinabé Kandy Guira et le DJ et producteur tunisien Khalil Hentati. Avec ce dernier pendant le Covid, il décide de lancer à distance un projet electro nord-africain qui modifie la donne en matière de rythmique. "Trop souvent, les samples sont réalisés à partir de sources égyptiennes" confie-t-il.

Imed enregistrera donc des heures de tourneries pour que le producteur puisse construire la trame sur laquelle ils vont collaborer ensuite. "On ne voulait pas courir après les machines, mais jouer réellement avec. C’est un vrai challenge" explique Imed. "Khalil joue aussi des claviers sur lequel il a entre autres embastillé le son du mezoued, une cornemuse tunisienne qui a su imposer un style musical populaire sous son nom, mais aussi des bribes de chant. Naturellement, nous nous sommes tournés vers Sofyann Ben Youssef, le pionnier des musiques électroniques tunisiennes pour mixer nos sons, leur donner des respirations.". Un vinyle sort en 2021 sur Shouka Records. "On est admiratif de leur travail et de leur fonctionnement. C’est plus une coopérative qu’un label au sens strict du terme. Sofyann lui, a apporté comme sur chacun de ses projets, un soin extrême au son des instruments, qui valorisent chacun d’eux sans les filtrer" précise Khalil Hentati.

Ammar 808, le géologue.

Connu comme membre du collectif Bargou 08, avant de se lancer en solo sous Ammar 808, Sofyann a une solide formation de musicien dans une prestigieuse école tunisienne. Batteur, il a accompagné des groupes de métal, de reggae, de pop. "Il dompte ses machines et maitrise la programmation, jouant des rythmes ternaires très complexes sur des engins initialement prévus pour de binaires 4x4."

Cela ne veut sans doute rien dire pour vous, mais pour Martin Meissonnier qui formule ces propos, c’est une prouesse remarquable "C’est de fait un des producteurs de techno les plus intéressants du moment.". Habib Dechraoui lui parle "d’un géologue du son qui creuse profondément pour extraire la substance même des rythmes et des traditions qu’il aborde." Désormais installé en pleine campagne au Danemark, le producteur avoue écouter assez peu de musiques sauf des musiques carnatiques par plaisir et celles sur lesquels il travaille.

Il ne chôme pas, preuve de la vivacité de cette scène. Aziz Sahmaoui, le maitre du guembri et du mandole qui présentait sur scène et en trio son dernier opus enregistré avec le percussionniste Adhil Mirghani et le violoncelliste Eric Longsworth, avouait à l’heure du petit déjeuner chercher l’âme sœur, le compagnon de route avec qui il pourrait s’engager dans cette voie, sans chercher à viser le club, mais plutôt travailler les textures, les ambiances, le son d’un prochain album. Les musiques "electrorientales" ont réellement de beaux jours devant elles.

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