La bossa haïtienne de Beethova Obas

Après un triomphe devant des milliers de gens au Central Park de New York cet été, le troubadour haïtien Beethova Obas vient de toucher le coeur des haïtiens de Miami en se produisant dans la ville américaine le 12 novembre dernier.

C'est l'un des plus séduisants musiciens du moment, issu de la diaspora haïtienne, qui s'est produit le12 novembre dernier à Miami. Une ville où les chauffeurs de taxi, presque tous haïtiens, conduisent portable à l'oreille, la radio branchée sur RFI. Et dans le Little Haïti de Miami, comme "là-bas" à la campagne en Haïti, les "poulets bicyclette" courent en liberté. Mais pour Beethova Obas, c'est le Haïti plutôt nanti des professions libérales et femmes en robe de cocktail qui s'est déplacé, CDs en main pour l'autographe. Et pour découvrir son nouvel opus Ke'm Poze (Coeur reposé). C'est avec ce titre ironique ou volontaire qu'il évoque le Bicentenaire de l'indépendance de Haïti, les violences et l'insécurité séculaires, l'environnement saccagé, et les récents ouragans, au propre comme au figuré.

"Il y a les états d'âme autour de notre Bicentenaire, et les récents désastres. Certains parlent d'une malédiction" nous a t’il confié quelques heures avant le concert. "Je voudrais que le monde entier prenne conscience que 5.000 morts chez nous à la suite d un cyclone, cela relève de l'effet de serre ! Et que Haïti ne peut pas en sortir d'elle-même. C'est un problème d'ordre mondial, de la conservation des ressources de la planète, et de Bush qui refuse de signer des protocoles".

Sur scène, la chanson Planète Là est composée d'une litanie de désastres, dont les cinq cyclones consécutifs cet été, et même des morts en France pendant la canicule de 2003 - mais chantés, voire murmurés, dans un créole caressant à faire pâmer Laura Bush elle-même. Il annonce Babylone, qui traite du même phénomène de la grande ville que dans la Bible, sauf que ça se passe aujourd'hui. Mais jamais une chanson sur l'aliénation en milieu urbain ne nous a donné autant envie de balancer, danser, et plus si affinités !

Il faut se rendre à l'évidence : avec sa voix aux accents de Jobim et son ton langoureux et mélodieux, Beethova mériterait un Grammy et une nouvelle catégorie à lui seul pour "meilleur chanteur engagé mais vraiment sexy". Claudia, une brésilienne de Miami tombe sous le charme "J'entends chez lui du Chico Buarque, il rend le créole aussi sensuel que le portugais brésilien". Sur scène, le frère de Beethova, Emmanuel, une choriste, un bassiste, et deux percussionnistes l'entourent. Mais c'est le jeune pianiste Welmyr Jean Pierre, issu du conservatoire en Haïti, qui brille par ses allusions jazzistiques passant de La lettre à Elise (composition de l'autre Beethoven) au célèbre Manha do Carnaval.

Encouragé par Beethova, son compatriote Manu Charlemagne, grande figure de la chanson révolutionnaire en Haïti le rejoint sur scène dans un duo plein de drôlerie, d'amitié, tout en créole, et dans lequel le mot "exploitation" revient souvent. Mais ce soir, bien plus que les classes dirigeantes, c'est le groove qui domine.

Avec Lever, un reggae sombre et fort, on assiste à un solo de batterie devenu presque abstraction, entre silences et cataclysmes bruts, très applaudi. Là encore, malgré les appels à se lever pour changer le monde, chanté de façon tellement feutrée, suave et intime, cela nous donne plutôt des envies de s'allonger.

Son public de Miami, debout, oscille entre danse et ovations, avant de s'attarder, pensifs, devant les peintures exposées du père de Beethova, assassiné par les tontons macoute en 1969, du temps de Papa Doc. "Sa peinture, c'était une révolte feutrée, on y voit des animaux en fuite, des gens courbés sous la pluie, des feux allumés. Quand il a exprimé ouvertement son opinion contre cette dictature, il a été arrêté. On ne l'a jamais revu. Ma mère a gardé l'espoir pendant des années, mais quand Duvallier a été obligé de vider ses prisons en 1977, le nom de mon père n'y figurait pas. Alors vous voyez ici des oeuvres qu'on a pu sauver et restaurer. On va organiser une série d'expos /concerts aux Antilles et en Europe".

On fête l'indépendance de Beethova, qui nous libère du carcan de la chanson à texte, des formules surannées, du ton histrionique. Ouf ! Et tout en créant son style à lui, le CuHaBra (Cuba-Haiti Brésil), Beethova sait dénoncer et donne envie de danser. En somme, un chanteur sensuel consensuel.