Le phénomène Tabou Combo fête ses 55 ans à Paris !

Le groupe haïtien Tabou Combo fête ses 55 ans. © Martin Cohen

Pour leurs 55 ans de carrière depuis la naissance de leur formation en 1968 à Pétion-ville, les papys du kompa Tabou Combo, s'offrent une célébration en grande pompe au Casino de Paris, le 30 avril. Peu avant les festivités, Fanfan Ti Bòt, membre fondateur et chanteur, revient de sa voix éraillée, non sans humour ni sans émotions, sur l'épopée de ce groupe légendaire, porte-voix d'Haïti. 

 

RFI Musique : Fanfan, à 74 ans, vous ne songez pas à prendre votre retraite ?
Fanfan : Absolument pas. Pour moi, la retraite, c'est un petit pas vers la mort. Je me repose, je reprends de l'énergie sur scène : j'adore voir le public danser sur notre musique ! Vous savez, quand on fait la même chose, des concerts, depuis autant de temps–55 ans pour nous–, forcément, ça rentre dans notre ADN. Alors, s'arrêter... c'est inconcevable, tant qu'on a la santé. Tabou Combo a commencé à sept. Aujourd'hui, nous sommes cinq, avec quasiment la même équipe qu'à nos débuts– Shoubou, Jean-Claude Jean, Kapi, Reynald Valmé et moi-même. Je compare notre parcours à celui des Stones. Mick Jagger et Keith Richards demeurent mes modèles, mes héros, mes sources d'inspiration. Pour rien au monde, je ne raterais l'un de leur concert...

Tabou Combo, ce seraient donc un peu les Stones haïtiens ?
Oui, sur le modèle du célèbre slogan "Rock'n'roll is not dead", on peut affirmer que "Kompa is not dead... (because of Tabou Combo!)". Avec les Stones, on partage la durabilité, l'amour fou de la musique, celui de la foule et la volonté de transmettre un héritage musical aux générations futures, dans notre cas, celui d'une musique noire caribéenne, que nous écouterons, je l'espère encore dans un siècle ! Un jour, j'ai rencontré Mick Jagger à Power Station, un studio de Manhattan. Il écoutait notre session derrière la porte... On lui a proposé d'entrer et on a bavardé pendant une heure ! 

En 2018, vous aviez fêté vos 50 ans au Zénith de Paris... Que s'est-il passé depuis ?
Parmi les bouleversements majeurs, il y a eu la disparition brutale d'Herman Nau, en juillet 2021, notre batteur et co-fondateur. Nous avons tous été choqués par son décès. Très attentif à sa santé, il faisait du sport, il surveillait sa diète... Et pourtant, suite à une pneumonie foudroyante, il est rentré à l'hôpital, pour ne jamais en ressortir. Nous avons hésité à poursuivre le groupe, suite à son départ... Là où il est, je pense qu'il valide notre choix. 

En quoi est-ce symbolique de fêter vos 55 ans au Casino de Paris ?
Paris, c'est là où nous avons explosé en 1975, grâce à notre tube New York City, signé chez Barclay. C'est ici que nous sommes entrés de plain-pied dans le show-biz. Et puis, pour nous, dans les seventies, c'était la ville de la sape, là où nous trouvions nos costumes de scène. Le Casino de Paris nous paraissait être un symbole fort, et nous sommes ravis de retrouver notre public, en majeure partie antillais. 

En même temps, lorsque vous avez quitté Haïti au début de l'aventure Tabou Combo, vous aviez choisi New York et non Paris...
Oui, nous avons choisi les États-Unis, car nous étions très influencés par la musique black américaine, par Kool and the Gang, James Brown, Sly and the Family Stones, par les hippies, par Carlos Santana, dont nous avons interprété le titre Black Magic Woman. Ironie de l'histoire : lui-même reprendra l'un de nos tubes, Mabouya.

Depuis 55 ans, comment votre son a-t-il évolué ?
J'écoute énormément de musique africaine, beaucoup d'afrobeat, de rumba congolaise, de rock'n'roll... Et cela irrigue ma musique. En même temps, beaucoup de fans souhaitent que Tabou Combo conserve le même son que dans les années 1970... Je pense que notre nouveau titre, Révélation, synthétise cette croisée des chemins : cet ancrage dans la tradition, conjugué à un son très actuel. Mais je laisse notre public juge ! 

Et au niveau des thèmes abordés ?
C'est une question intéressante... Nous continuons de chanter la promotion du kompa... Mais à vrai dire, on parle de quoi ? À 75 ans, est-ce qu'on peut encore parler d'amour ? Il n'y a plus vraiment le même engouement, ni la même flamme ! (rires)

Quel regard jetez-vous sur votre pays ?
Ce qu'il s'y passe est abominable. On dirait une conspiration des grandes puissances pour le mettre à genoux. C'est un endroit que nous ne sommes pas parvenus à protéger : un territoire vulnérable avec une jeunesse, sans avenir, qui n'hésite pas à se lancer dans de sales besognes, dans la drogue, pour s'en sortir... Nous n'avions pas les mêmes problèmes dans les années 1970. Et surtout, nous avions la musique, le kompa, qui nous tenait debout. 

C'est quoi pour vous le kompa ?
C'est une façon de vivre, de danser, de s'exprimer, c'est le langage de tout un peuple, celui d'Haïti. Notre versant le plus positif. 

Comment expliquez-vous votre longévité ? Vous avez réussi à passer toutes ces années en restant soudés et solides ? 
Entre nous, il y a eu des embrouilles, mais toujours derrière le rideau... Des fois, on était si fâchés qu'on ne s'adressait plus la parole... Mais, une fois sur scène, on faisait comme si de rien n'était. Le jour où on a annoncé à Shoubou la mort de sa mère juste avant de monter sur scène à La Villette, il a assuré le concert avec un professionnalisme sans faille, avant de rentrer au pays pour s'occuper des funérailles. De même, Kapi et moi avons subi des drames lors de tournées. Mais Tabou Combo a toujours été une idée plus grande que nous. C'est une famille, un emblème, celui de notre peuple, un symbole de solidarité, de fraternité, que chacun supporte. On ne veut en aucun cas le mettre en danger ni même le rendre vulnérable aux yeux du monde. 

Quels sont les plus beaux souvenirs de ces 55 ans de carrière ?
En vrac, ce seraient les 30 ans au Zénith, la tournée aux Antilles en 1994, où nous avons été accueillis comme des stars... ? Et aussi l'explosion, comme une traînée de poudre, de Phénomène Tabou, l'un de nos plus grands hits. Il y a aussi eu ce concert à La Villette, où notre guitariste avait raté son avion et a finalement débarqué en plein milieu du show... Quelle vie ! Quelles aventures ! 

Qu'allez-vous jouer le 30 avril au Casino de Paris ? 
Tous nos tubes – Tu as volé, Mabouya, New York City, Phénomène Tabou, Lakay – vont rugir, histoire de prouver que nous n'avons pas pris une ride ! 

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