En Bretagne, quel avenir pour un fest-noz touché de plein fouet par la Covid-19 ?
Depuis plus d’un an, le monde du fest-noz est à l’arrêt à cause de la Covid-19. Inquiets pour leur avenir, musiciens et acteurs du bal se sont réunis en collectif et se mobilisent pour tâcher de réformer cette pratique. Entre monde professionnel et pratique amateur, le bal traditionnel breton veut voir bien plus loin qu’une hypothétique reprise et rénover son image.
Samedi 3 avril, l’association Tamm-Kreiz a organisé son dixième et dernier fest-noz de confinement. Après un an d’existence, ces rendez-vous filmés et retransmis sur Facebook se sont arrêtés, alors que le bal traditionnel breton est pris dans les méandres de la crise sanitaire.
La raison de cet arrêt est simple, un manque de rentabilité de ces soirées, chacune revenant à près de 2500 € alors qu’elle en rapporte deux fois moins. Véritable "observatoire" du monde du fest-noz, Tamm-Kreiz répertorie les groupes de musique traditionnelle bretonne et tous les bals traditionnels de la région. Mais tout cela appartient au monde d’avant.
À l’image des concerts et des festivals, les bals traditionnels bretons sont à l’arrêt depuis mars 2020 et le premier confinement. Il y a bien eu une petite reprise au cours de l’été, mais rien de significatif. Si bien que depuis le début de la crise sanitaire, ce sont 2100 événements qui ont été annulés sur le territoire français.
Dans une région où l’on pouvait danser chaque jour en été et chaque week-end le reste de l’année, le fest-noz (fête de nuit) et le fest-deiz (fête de jour) sont ancrés dans le quotidien de danseuses et de danseurs souvent passionnés. La perte financière représenterait de 15 millions d’euros, avec un réel impact sur tout l’écosystème : artistes, organisateurs, sonorisateurs...
La danse bretonne, "pas très Covid compatible"
Le fest-noz s’accommode mal des gestes barrières et de la distanciation sociale. "On baigne dans la sueur. Il y a beaucoup de choses qui se font avec le regard. On se touche, on sent le souffle des gens en face", constate Stefañ Julou, coordinateur de Tamm-Kreiz.
Musique servant à la danse, le kan-ha-diskan - "chant et contre-chant", en français- est construit sur un jeu de question/réponse qui mène jusqu’à la transe. "Les gens viennent d’abord pour le plaisir de la danse. Quand on chante sur une scène de fest-noz, on les fait danser. C’est comme un fluide, ça vibre de partout, c’est du partage. Il y a aussi une sorte de pression parce qu’il ne faut pas louper un temps", explique la chanteuse Morwenn Le Normand.
Basée à Locmiquélic, un petit port de la rade de Lorient, Morwenn incarne bien un monde qui mêle amateurs et professionnels. Elle a fait ses débuts dans les festoù-noz du Finistère sud "en total amateur". C’est lors de ses études en Langues et cultures régionales à l’université de Rennes II, qu’elle chante pour la première fois au festival Yaouank, le plus grand fest-noz de Bretagne. Devenue institutrice, elle se lance en 2012 dans une carrière professionnelle.
Face à la crise Covid, elle a pu limiter les dégâts grâce à sa propre structure, Son Ar Neurenn, alors que beaucoup sont payés au Guso (Guichet unique du spectacle occasionnel), comme des musiciens de bar. Intermittente, elle a bénéficié de la prolongation de son assurance chômage du fait de "l’année blanche" accordée par le gouvernement. Mais d’environ 1700 €, elle est passée à 1100 € de revenus mensuels, et elle s’inquiète déjà de l’après.
"Oubliés de la crise sanitaire"
"On parle des théâtres, des cinémas, des salles de concert, mais dans le fest-noz, nous sommes les oubliés de la crise sanitaire. Il y a des députés qui sont au fait de notre situation, mais la seule chose qu’on nous ait dite, c’est d’attendre", pointe Stefañ Julou, de Tamm-Kreiz.
À la faveur de la crise de la Covid-19, un Collectif des acteurs du fest-noz s’est fédéré pour porter la discussion jusqu’à la région Bretagne. Un groupe de travail a même été constitué, qui doit rendre ses propositions avant les élections régionales de juin prochain. Sur la table, il y a quatre axes de travail : l’aide administrative aux organisateurs, actualiser l’image du fest-noz, soutenir la création et une meilleure transmission des éléments de la culture bretonne.
Inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2012, le fest-noz est-il menacé ? Ses organisateurs, souvent occasionnels, seront-ils découragés ? Pour les acteurs du fest-noz, il s’agit non seulement de préparer la sortie de crise, mais aussi de renouveler cette pratique.
Cheville ouvrière de ce collectif et organisateur du festival, le Roue Waroch, à Plescop, Fanch Loric note le contraste entre petits fest-noz qui tiraient la langue et de gros rendez-vous qui se portaient bien. "Des fois, on avait un peu l’impression d’être dans 'un bal à la papa', avec des groupes vieillissants. Il s’agit d’amener des programmations plus jeunes. Car c’est une musique très vivante, il y a un véritable vivier de création", estime-t-il. Tous s’accordent sur un renouveau apporté par des musiciens trentenaires, adeptes de mélanges avec la musique traditionnelle.
Pour Charles Quimbert, le fest-noz "dit quelque chose de notre rapport à l’autre" dans une "société de plus en plus individualiste". "Ça parle autrement de la culture ! Ce n’est pas la grande salle, le grand concert ou le lieu unique vers lequel tout le monde irait. C’est au contraire une fourmilière de petits événements que les politiques culturelles ont trop souvent mise à l’écart", estime l’animateur de ce groupe de travail, qui avait porté la candidature à l’Unesco. Loin des grandes autoroutes culturelles, le fest-noz entend jouer la carte de la proximité.