L’odyssée poétique de Flavien Berger

Flavien Berger © Julien Bourgeois

Avec son deuxième disque, Contre-Temps, le génial Flavien Berger, geek artistique, livre un petit bijou sonore où s’entremêlent pop, électro, musique classique, etc : une bande-originale très personnelle qui côtoie les étoiles et la beauté des petits riens.

Flavien Berger parle et réfléchit vite. Dans son cerveau, sous ses longs cheveux, lorsque ses yeux bleus s’allument comme un signal, ça fulmine sec, les neurones s’agitent et les connexions s’établissent à la vitesse de l’éclair. Pour expliquer son nouveau disque, ce geek artistique digresse sur les ouroboros, ces symboles de serpents qui se mordent la queue, cite les dreamachines – ces inventions nées des artistes Brion Gysin et William S. Burroughs, qui stimulent les ondes alpha du cerveau, sollicitées lors du rêve – le film Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais, une "tragédie science-fictionnelle, avec un montage elliptique hallucinant", ou encore le chiffre 9, fétiche du disque – "C’est un début de spirale, sans en être une, un circuit raccourci achevé sur lui-même ; avec deux 9 l’un au dessus de l’autre, tu obtiens aussi le symbole du cancer, mon signe astrologique."

Voici, peut-être, pourquoi sa musique ne ressemble à nulle autre. On pourrait à l’envi citer les références musicales qui affleurent à l’écoute – l’électro de Kraftwerk, la pop bleue de Christophe, les bandes-son en couleurs flash de François de Roubaix, Etienne Daho ou Alan Vega – mais l’essentiel se joue ailleurs : dans les mathématiques, dans les jeux vidéo, dans la conquête spatiale, hors du temps et de toute mode.

Déjà, avec son premier disque, l’aquatique Léviathan, l’apprenti sorcier poétique, issu d’une famille de cinéastes, qui apprit la musique sur un jeu de PlayStation, livrait un joyau sonore, au langage inouï et imagé, qui confinait au sublime. Sur son deuxième opus, Contre-Temps, aux vertus psychédéliques, le garçon enfonce le clou : une œuvre de dédales, créative et personnelle, dont l’on ne cesse de redécouvrir les méandres, les détails et les recoins à chaque écoute.

Du stimulus à l’idée… et vice-versa !

Comme pour son premier opus, le musicien et chanteur s’était fixé un thème, un cahier des charges : le voyage dans le temps. "Avant de démarrer la création, j’aime délimiter un corpus de recherches, me balader à travers les références, explorer des galaxies, raconte-t-il. Lors de mes études de design industriel, j’avais fait un mémoire sur le voyage dans le temps, via l’analyse d’un tableau du peintre américain Paul Laffoley, qui consistait en de grands diagrammes cosmologiques, une sorte de plan de voyage dans le temps. J’ai approché la question aux niveaux philosophique, scientifique, par le biais des images et maintenant de la musique. Contre-Temps, le titre de mon disque ne doit pas être entendu dans le sens usuel. Il ne signifie pas ‘à l’opposé du temps’ mais plutôt ‘tout contre le temps’, ‘à fleur de temps’, lové dedans. J’avais envie de le ressentir de manière sensible, avec son impermanence et ses cycles qui se répètent. Il s’agit, en fait, d’un disque sur le présent."

Le présent, Flavien Berger l’expérimente dans son studio, désormais investi à temps plein, lorsqu’alchimiste, il transforme sa matière sonore en or. Ainsi procède-t-il : "Je vis des moments, des instants de créations mélodiques, harmoniques, des phases d’écriture qui s’aimantent les uns, les autres. Je jongle avec les différentes zones qui jalonnent un morceau : la composition, les arrangements, la production, les interprétations. Tout cela s’influence de manière circulaire ! Et quand j’ai trouvé quelque chose qui résonne bien avec moi, je suis sa trace, je l’approfondis. C’est comme un chamboule-tout, la création ! Un stimulus entraîne une idée, qui elle-même entraîne un stimulus, qui lui-même entraîne une idée, qui entraîne un stimulus… Jusqu’à ce que la chanson soit finie parce que, tout simplement, je n’ai plus rien à dire…"

Pour forger sa bande-son si personnelle, Flavien Berger puise dans le son des machines, mais aussi dans les bruits du quotidien, dans ce qui lui attrape l’oreille, dans ce qui lui saisit le cœur, et qu’il capture. "En bon collectionneur, j’enregistre et filme beaucoup de bribes de présent, explique-t-il. J’essaie de dénicher la beauté dans les phénomènes que je croise, que je rencontre. Je capte des phénomènes sonores. Par la suite, je classe ces archives, je les thésaurise, et je pioche dans cette manne."

Des images et des mots

Membre du collectif Sin – huit artistes à la croisée des disciplines, entre musique électronique expérimentale, performances sonores et installations, sur le procédé des dreamachines – Flavien Berger procède aussi par images, s’entoure de vidéastes qui créent de la plastique, des clips autour de ses œuvres. Enfin, associé aux images, il déclare aussi son goût immodéré des mots, et des chansons, avec des textes "travaillés comme jamais" sur ce disque. De ses chansons aux allures simples émergent, en effet, des morceaux de poésie vive, comme ici, sur A reculons, chanté en duo avec Julie Delanoë : "Alors toi et moi on se voit / Mais le plus souvent c’est de dos / Là haut, que pensent-ils de tout ça ? / Qu’est-ce que l’amour à vol d’oiseau ?"

Dans ses titres, où s’entrecroisent et s’harmonisent musique classique, électro, pop, bruits de radiateurs et dialogues sur une plage, se distinguent des feux d’artifice, des amours fous, des ruptures, des lignes architecturales brutalistes. Ici, le voyage intersidéral questionne les petits riens du quotidien, décolle vers les étoiles pour mieux retrouver la réalité. En forgeant son propre langage d’humain extra-terrestre, Flavien Berger se révèle à l’écoute de sa propre musique et de celle de l’univers. Cosmique !

Flavien Berger, Contre-Temps, Pan European Recording, 2018
Page Facebook de Flavien Berger