Martin Meissonnier, une vie à conjuguer traditions et modernité

Martin Meissonnier, 2019. © Philippe Lévy

Homme de sons puis d’images, Martin Meissonnier a renoué ces dernières années avec l’activisme musical. On le retrouve au cœur de Kinshasa 1978, une sortie en deux volumes (Originals et Reconstructions) du label belge Crammed Discs.

Si il déclare aujourd’hui que son boulot "c’est de faire des films" préparant par exemple trois 52mn produits par sa propre société - Productions Campagne Première - autour de la question de l’école à l’heure du numérique, Martin Meissonnier a par le passé traversé plusieurs vies professionnelles à en croire sa page Wikipédia. On l’a donc connu journaliste à Libération, mais aussi agent d’artistes (Don Cherry, Art Ensemble of Chicago…), DJ sur Radio Nova au milieu des années 80 et surtout, depuis bientôt 4 décennies, réalisateur d’albums dont certains sont aujourd’hui encore des marqueurs de cette fameuse sono-mondiale à laquelle son nom est attaché: de Black Président de Fela au Kutché de Cheb Khaled et Safy Boutella, en passant par Juju Music de King Sunny Adé ou Medecine de Ray Lema.

"À la fin des années 80, j’ai décroché ; les maisons de disques souhaitant trop formater les productions" rappelle celui qui est né le 20 décembre 1956, le jour anniversaire de l’abolition de l’esclavage. De 1989 à 1994, on le retrouve rédacteur en chef de Mégamix, l’émission qui en 250 numéros a secoué toutes les musiques dans le PAF. C'était sa façon à lui de rester embarqué dans toutes les aventures qui régénèrent la musique au quotidien. Son nom apparaît depuis en grosses lettres au générique de nombre de documentaires traitant successivement de la musique psychédélique, de l’internet naissant, de la guerre de l’uranium, de la vie de Bouddha ou de celle de Jeanne d’Arc ou encore du bonheur au travail. Quelques bandes sons pour les J.O. d’Albertville ou pour les Guignols de l’Info… et des documentaires plus musicaux comme Africa Live ponctuent ces deux décennies.

France-Zaïre, aller-retour

Depuis une paire d’années, son nom de DJ, son avatar aux platines — Dox Martin — apparaît à l’affiche de festivals prestigieux dont les Transmusicales. Chevauchant sur son ordi 4 platines virtuelles autour desquelles s’entortillent frénétiquement musiques des cinq continents, beats électro et samples taillés sur mesure et au carat près, ce DJ aux cheveux argentés participe aujourd’hui encore, à la plus grande satisfaction des kids en sueur, à l’étalonnage de la sono-mondiale 3.0.

Incontestablement, il traverse le temps porté par une douce transe, qui en filigrane relie les époques entre elles. Et c’est bien ce lien inter-générationnel qui éclaire sa dernière réalisation : Kinshasa 78. Ce double album donne à entendre d’une part des enregistrements d’orchestres tradi-modernes de Kinshasa (Originals) réalisés en 1978 par des stagiaires de Radio Zaïre, encadrés par Bernard Treton et Guy Level, deux fous de son dépêchés tout droit de Paris, dans le cadre d’un plan de coopération entre les radios nationales française et zaïroise, et sur Reconstructions, une série de remixes signés par lui-même. Ces enregistrements lui ont été confiés par Bernard Treton en 2008, plus de vingt ans après la parution de l’album de la collection OCORA : Zaïre, Musiques Urbaines à Kinshasa qui en proposait déjà certains extraits.

"Il savait depuis longtemps mon intérêt pour ces musiques. C’est d’ailleurs sur cette pochette qu’est mentionnée pour la première fois l’appellation 'musiques urbaines' pour qualifier ces musiques traditionnelles électrifiées" clame-t-il avant d’évoquer brièvement Maître Nono, le maître tambour qui avait conseillé les deux Français et leur élèves congolais: "Ils jouent la musique traditionnelle congolaise sur des sonos bricolées à partir des cornes de mégaphone détournées, ce qui leur donne ce son, cette distorsion presque naturelle, hasardeuse et aléatoire" avait-il précisé en sélectionnant Sankayi, Konono N°1 et les Orchestres Bambala et Bana Luya, 4 formations originaires de 4 régions du pays afin de répertorier des expressions différentes.

Ouvrir son regard

Avec l’aide de Mathias Weber, son ingénieur du son, ils ont "détricotés le son pour en faire autre chose" comme dit ce super mécano du son. "On s’est autorisés quelques ajouts, dont la basse d’Hilaire Penda" signale-t-il en évoquant la mémoire de ce brillant bassiste décédé depuis et à qui l’album est dédié. "L’idée, c’est de toujours respecter la chanson pour qu’elle reste homogène" assène-t-il. Ramené ici à un peu plus de 15 mn, ce titre qui en faisait 90 est intitulé selon les mots même du gimmick chantés par le Sankayi : Il ne faut pas intervenir.

Ce raconteur d’histoire ne peut s’empêcher quand il évoque une musique, seraient-elles aussi géo-datées que celles-ci, d’ouvrir son regard aux autres continents. "A Kin’, ils jouaient dans la rue, habillés de tee-shirts troués devant des faux amplis et avec ce son crade, braillard éructé des cornes de mégaphone, avec cette distorsion qui propulsait les voix comme les résonnances des likembés (pianos à pouce) aux micros empiriques dans une autre dimension. Chez nous, c’était les débuts du punk" ajoute-t-il, laissant une petite respiration afin que ses mots carambolent librement dans nos esprits. "Faire propre ou joli n’était pas leurs problèmes" reprend-t-il.

"Pour qui, comme moi, était nourri aux constructions en boucles des musiques répétitives et à leur déphasage graduel, leurs grooves omniprésents, incessants composées sur des rythmiques traditionnelles, avaient de quoi titiller l’oreille" conclut celui qui bien que n’ayant jamais fait le voyage jusqu’à Kinshasa – à son grand regret – a très tôt compris, que se jouait là, autour de ces orchestres de rue, comme à Lagos avec l’afrobeat ou un peu plus tard à Oran autour du pop-raï, l’urbanisation des musiques traditionnelles populaires et que ce mouvement était voué à être planétaire.

Martin Meissonnier et le Cabaret Sauvage (Paris) proposent le 27 janvier prochain au Cabaret Sauvage, Monday Jump, un nouveau rendez-vous parisien (régularité à définir). Pour cette première soirée, le cap est mis sur Kinshasa 78 avec une fête entièrement dédiée à la musique congolaise, de la rumba des années 70 avec le concert de Nyboma, un chanteur congolais de Paris et son groupe à l’occasion de la sortie de leur nouvel album Kanta d’Or, aux derniers remixes africains de Dox Martin et de ses amis DJs et producteurs. De très dignes  représentants de la Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes (SAPE) sont annoncés. À noter enfin, Crammed Discs publiera avant l’été le nouvel opus du Kasai Allstars dont certains membres jouent ensemble depuis 42 ans.

Collectif, Kinshasa 1978 – Originals and Reconstructions (Crammed Discs) 2019. En CD, vinyle et téléchargement numérique.

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