L’odyssée d’African Corporation

African Corporation sur la scène de la Cité de la Musique à Marseille. © Keuj

Originaires de Marseille, Fallou N’Diaye percussionniste aux racines sénégalaises et Allan Touchat DJ français forment le groupe African Corporation qui vient de signer un premier album intitulé Unity. Truffé de featuring sur chaque titre, cet enregistrement est un véritable caléidoscope sonore : voix de griotes habillées d’électro, sons hip hop, dub, house music… Rencontre avec les deux protagonistes dans le quartier du Panier de la cité phocéenne.

RFI Musique : vous signez un premier album intitulé Unity. Que représente cette référence à l’unité?

Allan : avec ce titre, on a essayé de rassembler déjà tout un univers musical. Sur chaque morceau, il y a des artistes invités issus de plusieurs pays africains et de leurs diasporas. Ce sont des rencontres que nous avons effectuées sur le continent africain et ailleurs. Nous voulions aller sur place pour faire ces connexions. C’est véritablement un album panafricain. Ce titre nous semblait donc évident.

A travers les treize plages du disque, vous retracez l’histoire de l’Afrique. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche?

Fallou : nous ne parlons pas uniquement de l'histoire de l'Afrique mais de l'histoire de l'humanité. Nous retraçons ce récit avec son présent, son futur mais aussi son passé. En fait c’est une prise de conscience au niveau de la parole, que ce soit historique, philosophique ou spirituelle. Aujourd’hui cette parole est donnée à l‘Afrique, un continent jeune par sa population et en plein développement. Le monde de demain ne se construira qu’avec cette terre qui demeure le berceau de l’humanité.

 

© Artwork DesignMaker
Couverture du LP "Unity"

Vous venez d'univers musicaux très différents. Allan vous avez été nourri aux sons hip hop, électro. Fallou de son côté a suivi une formation au conservatoire de Marseille en section percussion après avoir été «biberonné» aux tambours ouest-africains. Comment s’est effectuée votre rencontre?

A : nous nous sommes croisés par hasard au détour d’une rue au Panier, le quartier historique de Marseille. En fait nous étions voisins sans le savoir. Cela remonte à une quinzaine d'années! On a sympathisé en quelques secondes. Le lendemain, j'ai vu passer Fallou avec une percussion sous le bras et nous avons commencé à échanger sur la musique. Après il m’a invité en studio afin que je découvre son travail. Moi je faisais déjà des expériences pour adapter les musiques électroniques à la world music. Ensuite chacun est reparti sur ses projets avant que l’on se retrouve en 2017 pour poser les bases de l'univers musical d'African Corporation.

 

Sur chaque titre il y a des guest. Comment s’est déroulé l’enregistrement de l’album?

F : le processus de création a été long sans même parler de la crise sanitaire qui a retardé nos recherches. En 2017 Allan et moi avons été invités au Sénégal pour donner une formation sur la production artistique à l’occasion du Yaakar, le festival international des musiques urbaines à Dakar. Nous avons rencontré Big Moo issu de la nouvelle génération en featuring sur le titre Moway. Tout de suite il nous a intéressé par sa maturité et son flow en wolof. Nous avons aussi fait la connaissance de la chanteuse lyrique Maty Thiam Dogo. L'idée nous a immédiatement séduit de lui proposer le morceau Guelewar, qui retrace l'histoire des Ceedo, les derniers royaumes du Djolof. Ce titre a été enregistré au studio des Arts Urbains de la capitale sénégalaise en 2018. Cette même année, nous sommes allés au Festival de Jazz de Bamako en collaboration avec le Festival Jazz des cinq continents de Marseille. Ce fut la première rencontre avec la griote Kankou Kouyaté. Sa voix au grain incroyable vous transporte. C’est pourquoi nous l’avons invité sur deux morceaux Bognate et Feniye Duma. Sur le premier qui s’inscrit dans le passé, elle raconte la célébration du Sigui. Cette cérémonie qui a lieu tous les soixante ans est initiée par les Dogons au Mali. A travers ces exemples que je viens d'aborder, le plus gros challenge a été de sortir les artistes de leur zone de confort et ne pas les laisser dans leur univers familier. Il fallait trouver un équilibre entre les esthétiques traditionnelles, urbaines et le son des machines pour que la fusion prenne. Nous essayons de sortir l'Afrique de son carcan, de dépoussiérer ce patrimoine musical. Les musiques traditionnelles existent et c’est normal mais elles doivent vivre dans leur époque, le XXIème siècle. Il y a aussi un côté transe dans notre musique avec les colorations house et clubbing.

Outre l’aspect proprement musical, African Corporation représente un collectif pluridisciplinaire. Comment est composée cette pépinière d’artistes marseillais?

A : la cité phocéenne regorge de talents artistiques. Il y a des graphistes, des graffeurs, des designers, des réalisateurs, des vidéastes, des photographes, des danseurs. On travaille vraiment en synergie collective dans un esprit de famille où on est tous ensemble. La graphiste va donner son point de vue sur la vidéo. Les photographes vont dire leur ressenti sur les clips et même sur la musique. Du coup les idées foisonnent c’est un véritable travail d’équipe.

© Stéphane Chassignole
Allan Touchat et Fallou N'Diaye dans le quartier du Panier à Marseille

 

Vous étiez en show case à la Cité de la musique à Marseille il y a quelques jours. C’était votre premier spectacle. Il ne s’agit pas d’un simple concert puisque l’aspect visuel est aussi important que la musique. Comment se fait l’équilibre entre les deux esthétiques?

F : dans la création de ce live, on a voulu proposer au public un voyage dans notre univers. Les musiciens arrivent du futur pour régler l'histoire du passé et du présent avec une dimension universelle. C'est une expérience assez immersive qui incite aux questionnements. Le spectacle commence dans la salle de concert avec la distribution d’un parchemin. Il constitue la charte du Manden proclamée par Soundiata Kéïta, empereur du Mali en l’an 1236. En fait il s’agit de la première Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ! Puis intervient une voix off, celle d’un griot, personnage incontournable dans la transmission des cultures africaines. La trame narrative retrace les grandes périodes vécus par le peuple africain: islamisation, christianisation, colonisation, esclavage, décolonisation, etc. Pour ce qui est du présent, le titre My lady met en avant une danseuse sur un son psychédélique sur fond de tissu wax. Moto Moto avec Goodluck Rwiza l’idole des jeunes de Dar es Salaam très dance représentant la jeunesse, la liberté, l’amour. Toute cette scénographie est enrichie par des chorégraphies et du vjing. A travers l’esthétique de cette african touch, le public déambule dans notre histoire, celle d’une Afrique mystérieuse qui ne veut être ni domptée ni conquise !

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Unity (Inouïe Distribution/RFI Talent)