Dominique Dalcan célèbre les voix arabes et féminines

L'auteur-compositeur-interprète français Dominique Dalcan. © Anthony Audebert

Dominique Dalcan s’est entouré de dix voix arabes, féminines et musiciennes pour son nouveau disque. De Souad Massi en passant par la flûtiste Naïssam Jalal ou encore la vedette égyptienne Dina El Wedidi, toutes figurent sur Last Night a Woman Saved My Life, le nouvel album, solaire et envoûtant, de Dominique Dalcan. Une réjouissance.

RFI Musique : Réaliser tout un album avec dix musiciennes de l’Orient, est-ce un geste féministe ?
Dominique Dalcan :
Ces femmes n’ont pas besoin de moi, c’est moi qui ai besoin d’elles ! Je voulais faire un projet collectif, ce sont des collaborations. Cela a pris du temps car il fallait trouver des morceaux qui collent à toutes, toutes différentes mais avec pour dénominateur commun : l’idée de créer de la beauté, autour d’une culture méconnue. Je suis né à Beyrouth mais j’ai été adopté, c’est un pays que je ne connais pas en réalité. Je voulais faire une sorte de témoignage pour rendre hommage à un pays que je ne connais pas. C’est aussi un monde de fantasmes, cela permet de redessiner un territoire. Où est ce qu’on se sent chez soi ?  En faisant ce disque, je suis arrivé à la conclusion que ce n’était pas "où" mais "avec qui" on se sent chez soi. Ce n’est pas un exil géographique, c’est émotionnel, ça c’est passionnant ! Et c’est super car cela veut dire qu’on peut en jouer, et rester en éveil. Tous mes disques ont toujours raconté des voyages. Comme une habitation sonore qui peut transmettre à d’autres. C’est aussi en opposition avec le protectionnisme à outrance que l’on trouve dans certains pays d’Europe. Et je suis pour l’ouverture. Ce n’est pas du tout un disque politique, c’est juste pour créer du lien entre les gens.

D’où vient ce titre Last Night a Woman Saved My Life ?
Tous les grands moments de ma vie sont liés à des rencontres avec des femmes. Une femme m’a donné la vie et une autre m’a aimé. 

La Franco-Algérienne Souad Massi, la Syrienne Lynn Adib, les Persanes Rezvan Zahedi & Parisa, l’Egyptienne Dina El-Wedidi, la Tunisienne Hend Zouari, la Soudanaise Sulafa Elyas, la Franco-Syrienne Naïssam Jalal, la Marocaine Meryem Aboulouafa, et les Libanaises Yara Lapidus et Bernadette Yammine jouent toutes sur cet album. Comment les avez-vous choisies ?
J’en connaissais déjà certaines, d’autres, j'ai appris à les connaître. Dina El-Wedidi, je ne la connaissais pas personnellement. Sulafa Elyas est une rencontre magnifique. Il y a aussi des gens que je suis allé chercher sans aucune garantie, comme Bernadette Yammine. Elle a accepté de chanter Ce matin, quelques gouttes de pluie sont tombées, qui parle du retour d’un fils à la maison. Elle l’interprète en maqam, elle s’est enregistrée, depuis le Liban, sur WhatsApp. Chaque morceau a son histoire, sa méthodologie de production et d’exécution. Et moi, j’étais au service de ces voix. Et quand j’ai reçu sa voix, j’étais désorienté, c’était très différent et j’ai dû inventer un morceau autour de cette voix. C’est intéressant d’aller vers l’autre, de lui laisser la place. J’ai longtemps fait un travail solitaire, je trouvais que ce disque était une très belle occasion pour travailler de façon chorale. C’est un album polyphonique avec un mélange d’arabe, d’anglais et de français. J’y chante de manière sporadique et je suis content que ces femmes chantent mon histoire. Je leur donne les clés de la maison. En ce sens, c’est un hommage à la féminité.

Vous avez grandi en région parisienne, on vous connaît surtout comme l’un des représentants de la French Touch, pourtant, c'est à Beyrouth que vous êtes né. Est-ce-que la musique arabe a bercé votre enfance ?
Ma mère me faisait écouter Fayrouz mais cela me semblait exotique et lointain. Ce que j’espère avec ce disque, c’est justement de ne surtout pas faire quelque chose d’exotique et d’orientaliste ! C’était une terre lointaine. Je ne l’avais pas travaillé musicalement avant.

 

L’album fusionne, musicalement, passé et présent, quoique très ancré dans notre époque, on a l’impression que le son vient parfois de très loin.
Oui ! C’est exactement comme cela que j’ai abordé cet album. Je ne voulais pas faire de la world music ni un disque d’électro pur. Je voulais faire chanter Fayrouz parce qu’elle a bercé les 50 dernières années musicales de toute une partie du monde. C’était une voix qui enchantait. Quand je suis allé au Liban pour la première fois en 2017, je rêvais de la rencontrer mais cela s’est révélé impossible. J’ai cherché des voix aériennes, proches de la sienne. Le deuxième point, c’est que je voulais mêler électro et acoustique. Le qanun et le oud puisent leur existence et leur fantasmagorie dans un passé, mais comment les faire exister au présent ?  D’où cet aller-retour permanent.

Vous nous faites découvrir la jeune étoile soudanaise Sulafa Elyas, qui chante Les trésors que j’ai en moi. Comment l’avez-vous rencontrée ?
Par une amie qui l’avait rencontrée quand elle était encore au Soudan. Je trouvais sa voix incroyable. Puis elle est venue à Paris, comme exilée politique. Il y a ne serait-ce qu’un an, je n’aurais jamais imaginé cette rencontre. Elle a coécrit le morceau. C’est un trésor.

Mon cœur est solitaire, que vous interprétez avec Hend Zouari est une adaptation de Ya Mesafer Wahdak (Toi l’étranger qui t’en va) de Mohammed Abdel Wahab. Pourquoi reprendre ce morceau culte du patrimoine égyptien ? 
J’adorais cette chanson, je l’avais entendue dans un film et je ne savais pas ce que c’était. Je me suis surpris ensuite à la ressortir, dont je ne comprenais pas les paroles. J’en ai mélangé le texte arabe avec des paroles que j’ai écrites. Hend Zouari joue du qanun dessus. Je lui ai proposé de la chanter, elle l’a fait en deux prises, elle ne savait même pas ce que ça deviendrait fondamentalement ! On a laissé la place à l’inattendu.

L’un des morceaux les plus dynamiques est quasiment instrumental, il s’agit de Salam qui veut dire paix. Vous vouliez faire danser sur la paix ?
C’est bien de donner du relief dans le disque et je trouvais qu’il y avait un côté irrévérencieux, un peu abrasif et rugueux. Il faut que le corps résonne. S’il peut résonner avec la paix, c’est bingo !

Dominique Dalcan, Last Night a Woman Saved My Life (Ostinato) 2023

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Dominique Dalcan and guests, en concert à l'Institut du Monde Arabe à Paris le 6 décembre.