Les voyages de René Aubry
C’est l’un des compositeurs les plus discrets du paysage français. Pourtant la musique organique et intime de ce multi-instrumentiste aux vingt-cinq albums est présente dans le monde entier, sous de multiples formes, depuis des années. Portrait d’un autodidacte humble et passionné, qui des forêts de ses Vosges natales à la BBC, en passant par Venise, a tracé un itinéraire éclectique et atypique.
René Aubry nous raconte qu’il est arrivé à la musique par hasard. On pourrait ajouter qu’il est devenu compositeur par amour. C’est en effet dans un premier temps pour imiter son grand-frère qu’il se met à la guitare. "Très tôt mon frère m’a fait découvrir Georges Brassens, Bob Dylan, Léonard Cohen à une époque où mes copains écoutaient Sheila et Jacques Dutronc", nous raconte-t-il amusé.
C’est donc assez naturellement -et un peu naïvement - qu’après avoir appris la musique de façon autodidacte, René Aubry décide de rejoindre son frère, parti vivre à Paris, pour monter un groupe de musique en 1976. Il y mène une vie bohème, faisant parfois la manche dans le métro et travaillant "avec émerveillement" comme technicien, dans des théâtres parisiens.
En 1978, par un splendide hasard, il rencontre la chorégraphe et danseuse américaine Carolyn Carlson, en résidence à l’Opéra de Paris. René Aubry est "subjugué" par son talent. Mais pas seulement. Ils tombent follement amoureux. Et plus encore. "C’est elle, nous raconte-t-il, qui m’a poussé à composer. Carolyn avait beaucoup de contacts. Elle m’a fait connaître tous les musiciens dits "répétitifs" comme Steve Reich, Philipp Glass ou John Surman. Je me suis mis à adorer leur musique".
Le plus simplement du monde, René Aubry emprunte un magnétophone et enregistre ses premières créations. Il devient le compositeur attitré de Carolyn Carlson avec laquelle il part vivre trois ans à Venise. C’est là qu’il enregistre son premier album René Aubry. S’en suivront 25 autres.
De sa collaboration fructueuse avec la chorégraphe naîtra Blue Lady (1983), Steppe (1990) ou encore Signes (1997) -salué par une Victoire de la musique. Parallèlement René Aubry produit ses premiers disques et compose aussi pour le théâtre, le cinéma et même la télévision.
Ainsi, dans les années 2000, quand ce n’est pas la grande chorégraphe allemande Pina Bausch qui plonge dans sa discographie pour la musique de trois de ses spectacles, ce sont des réalisateurs aussi éclectiques que Wim Wenders, Paolo Sorrentino ou Marco Bellochio qui choisissent sa musique pour certains de leurs films.
Un artiste à part
Multi-instrumentiste (voix, guitare, mandoline, banjo), autodidacte et solitaire -qui paradoxalement pourrait nous parler pendant des heures de son plaisir immense à composer pour le spectacle vivant, René Aubry a conscience d’être atypique.
"Je suis un musicien à part, nous confie-t-il sans fausse modestie. Il y a des choses que je ne sais pas faire, comme composer pour un orchestre symphonique ou faire de la musique "à la manière de". Je sais faire du René Aubry, j’aime explorer des univers différents, mais avec ma couleur".
C’est sans doute pourquoi il se fond si bien dans l’univers des autres. Il aime l’échange, les critiques et les encouragements qui aident et font grandir. Des possibilités qu’il a trouvées moins souvent en composant des bandes originales pour le cinéma. "J’en ai fait très peu. Cela demande de connaître et de savoir-faire tous les styles. … Ce n’est pas du tout le même échange avec les artistes scéniques. On vient aux répétitions, l’échange est permanent. Et après la première, on peut apporter des changements si nécessaires".
Sa passion pour la scène il l’a aussi vécue en tournée pendant une quinzaine d’années, avec son septuor. Une "expérience fantastique", dit le chanteur-compositeur à la voix grave. Il sourit lorsqu’on l’interroge sur le sens du titre de son vingt-cinquième album, I Sing My Song. "C’est un mantra. J’ai la chance d’avoir tout le temps pu faire ce dont j’avais envie. Je continue d’avancer. Je chante ma chanson. Cela peut aussi être dans ma tête".
Il poursuit : "on n’interdit à personne d’avoir de la musique dans sa tête". Ni de voyager mentalement. Ainsi I Sing My Song, album organique et chamanique, très entêtant, composé pendant le confinement, est traversé par des envies d’ailleurs. Comme le titre Take Off, qui traduit son désir de reprendre l’avion.
Guidé parfois par sa voix, qui rappelle Leonard Cohen sur des morceaux comme I Sing My Song et It’s Alright, écrits à partir de poèmes de Carolyn Carlson dont il est resté très complice, René Aubry nous offre une invitation au voyage et à l’altitude heureuse.
► À écouter sur RFI : L'émission Vous m'en direz des nouvelles - René Aubry, la musique est un ailleurs
René Aubry I Sing My Song (Music Box Publishing) 2022
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