Les Khalifé enflamment le festival Arabesques
Ils étaient très attendus. Marcel, le célèbre oudiste et ses fils Bachar et Rami ont enflammé la scène du domaine d’O au festival Arabesques de Montpellier, avec deux spectacles. Lost, un piano solo pour Rami. Et Mahmoud, Marcel et moi, pour Marcel et Bachar. Trois artistes au talent singulier, unis par la même passion.
Rami Khalifé nous l’a confié, droit dans les yeux, quelques instants avant son concert, il est prêt à "mourir sur scène". Il ne faut pas plus de quelques minutes à le regarder jouer pour en avoir la conviction. Seul face à son piano, Rami donne tout. L'aîné des fils de Marcel Khalifé fusionne avec son instrument et livre un jeu intense. Le pianiste interprète des morceaux de Lost, son cinquième album, et des pièces inédites. Il faut dire que ce compositeur hors pair a été formé très jeune, d’abord au Liban "par une vieille Arménienne qui venait à la maison", puis en France au conservatoire de Boulogne-Billancourt, et à la Julliard School of Music de New York.
Le goût commun des mélanges
Pour autant, Rami Khalifé, compositeur très mélodique, dont le jeu n’est pas sans évoquer celui de Keith Jarrett, est inclassable. Après Lost, sur son identité perdue au Liban, il s’inspire de plus en plus de la nature. Avec Océan, un morceau inédit, c’est à une immersion que l’artiste –qui vit en Australie- invite ses auditeurs. "J’ai essayé de retranscrire en musique ce que je ressens en nageant", explique-t-il avant de nous faire plonger dans une rêverie envoûtante. Requiem for Beyrouth, une pièce d’une vingtaine de minutes est plus sombre. Les fils de Marcel Khalifé, Rami et Bachar, nés dans les années quatre-vingt, ont connu l’exil très jeunes, "arrachés à leur pays" par la guerre, nous rappelle le père avec émotion.
Au début de la guerre du Liban, à la fin des années 70, Marcel Khalifé rendit, quant à lui, populaire la poésie et l’engagement de Mahmoud Darwich. C’est à ce poète qu’est consacré le second concert de la famille Khalifé à Arabesques : le spectacle Marcel, Mahmoud et moi, a été conçu par Bachar Mar-Khalifé sur des musiques de Marcel Khalifé et réunit le père et l’un de ses fils.
Entourés d’un accordéon, d’une guitare électrique, d’une contrebasse, d’un violoncelle et de percussions, Marcel (au oud, bien sûr) et Bachar (au piano) jouent et chantent le poète palestinien. Ces poèmes devenus des classiques (notamment Rita et Passeport) ont permis à Marcel Khalifé d’accéder à la renommée internationale. Mais nul passéisme
Multi-instrumentiste, Bachar Mar-Khalifé a paré la musique de son père d’électro, de jazz et de rock. Face à son piano à queue, chaussé de lunettes noires, ce démiurge plein d’audace signe un spectacle poétique et rythmique. Résolument contemporain, Marcel, Mahmoud et moi enflamme le public qui s’étonne, danse et chante, accompagnant Marcel avec ferveur sur ses chansons les plus connues. L’enthousiasme est total. C’est une autre qualité commune des trois Khalifé : cette capacité inouïe à capter les spectateurs, en déployant un jeu très différent : plutôt statique pour Marcel, temple de douceur, et très mobile et expressif pour ses fils.
La mise en scène est sobre et intelligente. Sur un grand écran noir, derrière les musiciens, les poèmes, parfois accompagnés de dessins discrets, sont traduits pour mieux pénétrer le cœur des spectateurs. Marcel Khalifé et Mahmoud Darwich (1941-2008) étaient très amis. Le oudiste nous confie un souvenir qui date d’une vingtaine d’années. "C’était un spectacle à l’UNESCO avec Mahmoud Darwich. Bachar était très jeune, il avait peut-être treize ans. J’avais mis en musique le poème Takassim, que Mahmoud récitait et Bachar y jouait avec moi. Quelques minutes avant d’entrer en scène, Mahmoud était très nerveux. Et Bachar semblait en paix ! Mahmoud lui a demandé en tremblant s’il avait peur et Bachar lui a répondu 'non pourquoi ?'". (Il rit) Et maintenant, poursuit-il avec tendresse, Bachar et moi, avant d’entrer en scène, on tremble ensemble".
Mais s’influencent-ils ?
À Montpellier, Bachar Mar-Khalifé refuse de nous répondre. La dernière représentation de ce spectacle –dont il ne veut pas nous parler non plus- correspond peut-être à une nouvelle phase de sa carrière. D’après Marcel, les trois artistes "très différents" se rejoignent toujours par l’importance cruciale de la musique dans leur vie. "C’est cela qui nous garde et qui nous porte. La musique me donne la force d’être là, de supporter ce qui se passe dans le monde". En France comme au Liban, la musique a toujours été omniprésente chez les Khalifé. Rami se souvient. "Toute notre vie était axée autour d’elle. C’est difficile ensuite de concevoir le monde autrement".
Très jeunes, Marcel Khalifé les a également emmenés dans le monde entier, au gré de ses tournées. Des souvenirs forts pour leur père, mais aussi pour Rami qui, bien que très attaché au Liban, se définit surtout comme un "citoyen du monde", comme son père, fervent défenseur de l’abolition des murailles entre les peuples. Et Marcel renchérit "Tous les cœurs du monde sont ma nationalité, je n’ai pas besoin d’autre passeport", affirme-t-il de sa voix douce, en paraphrasant un vers de Darwich. Cette flamme humaniste si brûlante, il l’a transmise à ses fils, ainsi qu’une volonté farouche d’être entier et d’entraîner le public dans des contrées mélodiques sensibles et intelligentes.
Si influence il y a, elle est donc diffuse, dans le fond comme dans la forme. Ainsi Rami, contrairement à son père et son frère, ne chante guère mais adore composer pour les orchestres classiques. Ce que pratique moins Bachar. Tout en s’étant aussi construits individuellement, d’après Rami : "Bachar s’inspirerait un peu de mon côté très mélodique et moi de sa rythmique". Quant à Marcel, ses fils lui insufflent la vie. "Ils me permettent d’être jeune, d’être toujours dans la vie. Grâce à eux, je suis toujours aussi l’enfant en moi et cela me plaît beaucoup". La garantie aussi d’une créativité sans frontières, commune à ces artistes passionnés, épris de liberté.
Site officiel d'Arabesques / Facebook / Instagram / Twitter
Site de Marcel Khalifé / Facebook / Twitter
Site officiel de Rami Khalifé / Facebook / Instagram