Riopy : le piano comme chemin de vie

Derrière lui, les oiseaux chantent et le ciel paraît dégagé. À l’heure où nous appelons par téléphone Jean-Philippe Rio-Py, connu sous le nom de Riopy, en concert le 27 novembre aux Folies Bergère, il se trouve en famille, quelque part au Portugal, où il réside, en train de se délecter, on l’entend à distance, d’un avocat-œuf.

Durant notre entretien, le pianiste star franco-britannique avouera avoir compté sans relâche les palmiers face à lui – une sorte de TOC mathématique. L’homme cultive l’instant présent, mène une vie saine, sans alcool ni tabac… Une existence paisible, en somme, telle qu’elle lui fut prédite. "J’avais cette certitude que j’aurais une épouse brune, un garçon, une fille, et que je serai heureux à 40 ans…", confesse ce père d’un bientôt troisième enfant.

Aujourd’hui, à l’heure dite, voici le présage réalisé, malgré un itinéraire chaotique, dès son enfance murée dans une secte des Deux-Sèvres, à l’écart du monde, de la musique, des distractions, des années marquées par les violences et les humiliations… "Oh ! Un papillon ! nous interrompt Riopy. Il est magnifique !". 

Cerveau gauche, cerveau droit

Au fil de cette enfance marquée par les violences, et les humiliations, donc, éclot ce miracle, tel que décrit dans sa légende. Dans un coin sombre, un piano. Riopy, deux ans, joue une note. Et là : "C’était comme une goutte d’eau, une bombe nucléaire qui explose et m’inonde de joie !". Le reste ne sera que flash, mémoire en pointillés, sensations… "De mon enfance misérable, je ne garde que 10% de souvenirs, dont 9% au piano", décrit-il. Une image, parmi d’autres, ressurgit : "Vers 15 ans, devant un vieux piano, je rafistolais le hammer, euh, le marteau en français, avec des bouts de laine. J’accordais l'instrument seul."

Et forcément, surgit cette question : comment un total autodidacte, coupé de toute influence, a-t-il pu développer un langage singulier et une telle virtuosité ? "J’essayais de trouver mon chemin, à l’instinct, analyse-t-il. Notre cerveau gauche concerne l’intellect. Le droit, la créativité. Notre univers conscient fonctionne, disons, à 32 bits par seconde : une vieille console Sega. Alors que notre inconscient atteint les deux millions de bits par seconde… Imagine ! Nous parvenons à des états de conscience modifiée grâce aux ondes thêta, qui correspondent à une relaxation profonde, une méditation avancée, une plongée dans le sommeil. Je pense que j’étais hors de moi-même, comme si je parcourais un livre qui ne m’appartenait pas, face au piano... Et c’était vital."

Un besoin si pressant que, le jour de ses dix-huit ans, Riopy s’enfuit de sa secte puis entame une vie d’errance jusqu'à Londres, où il cumule les petits boulots, avant d’être embauché dans un magasin de musique, où il voyage quotidiennement sur le clavier.

Un jour de dépression, hanté par cette "envie de se tirer une balle", un philanthrope, Michael Freeman, le repère, le prend sous son aile, et décide de lui payer ses études à l’université d’Oxford, où il se produit pour la première fois, à la salle Jacqueline Du Pré. 

Musiques de pub

Surgiront ensuite, parmi ses autres fans, Chris Martin en personne, le leader de Coldplay, qui lui achète un piano ou la légende pop américaine Lana Del Rey, qui s’offre une collaboration avec lui. Désormais bien intégré dans le show-biz, le jeune prodige commence à composer tous azimuts pour la pub (en 2018, il imagine notamment la plus longue partition pour la publicité diffusée en France, pour une marque automobile, où il apparaît au volant d’une voiture, en train d’écrire la partition en direct…), le cinéma, la télévision… "Je pense avoir, dans ma bouteille de vie, un tas d’expériences : tristesse, deuil, colère…, éclaire-t-il. Du coup, ma musique, très émotionnelle, constitue un excellent support pour les images. Parfois, le langage verbal s’érige en rempart contre la communication…"

Dès lors, sa savante et limpide mixture de jazz-pop-minimalisme new age, qu’il souhaite loin des canons guindés et élitistes de la "musique classique" fait recette, au point d’exploser tous les records : première marche du podium au Billboard américain en janvier 2022 pour son deuxième disque (sur quatre à ce jour), Tree of Light, après 70 semaines en continu dans le Top 10 du classement, 500 millions de flux au total sur les plateformes de streaming, dont 15 millions pour le seul titre I Love You…

Ce succès phénoménal, Riopy le considère avec recul. "Je ne m’en occupe guère, je ne regarde ni la télé, ni les chiffres... Ça va me faire gonfler l’ego. Alors, que dire ? Waouh ! C’est cool ! Merci ! On m’a dit que pour être heureux à 40 ans, il me fallait acheter une montre à 50 000 euros. Je me suis ravisé, j’ai choisi une Casio à 17£ et tu sais quoi ? Je l’adore ! J’ai une maison, une voiture, c’est suffisant, non ? Les jets privés, j’ai vécu… eh bien, scoop, ça ne sert à rien ! Oh… Tiens ! Une abeille !"

Malgré le succès et l’argent qui coule à flots, il ne se sent hélas toujours pas heureux, rongé par des addictions – alcool, tabac, cannabis. Alors, il décide de tout arrêter, pour s’adonner corps et âme à la méditation. Et ainsi veut-il sa musique, aujourd’hui utilisée à gogo par les professeurs et application de yoga : une bande-son thérapeutique, pour lui-même et pour les autres.

Ainsi a-t-il accordé, selon une suggestion de ses fans, son piano, un peu plus bas que la normale, à 432HZ, une fréquence favorable, paraît-il, pour la relaxation. En parallèle, il s’intéresse aussi aux travaux menés par certains neuroscientifiques sur sa musique. "À l’aide d’électro-encéphalogramme, ils ont prouvé qu’elle avait des effets bénéfiques sur le cerveau", raconte-t-il. Au final, les spectateurs des Folies Bergère n’auront plus qu’à se laisser titiller les ondes Thêta, par ses chemins sur le piano, pour atteindre le nirvana… 

Site officiel de Riopy / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube