Matoub Lounès

Matoub Lounès, 1994 © Georges Merillon

Matoub Lounès faisait partie de ces "maquisards de la chanson berbère", comme les avait baptisés Kateb Yacine (cf. "Nedjma") : les Djurdjura, Idir, Aït Menguellet et autres Ferhat Mehenni dont les chants en kabyle s'érigent comme autant de remparts de protection du patrimoine culturel tamazight (berbère). Matoub Lounès a été assassiné le 25 juin 1998, à l'âge de 42 ans, près du village dans lequel il habitait en Kabylie.

Matoub Lounès est né en 1956 et a grandi en Kabylie, le fief des "Imazighen" (hommes libres). L'autodidacte Matoub se fabrique une guitare de bric et de brocs et devient populaire grâce à des poèmes chantés puisés dans l'héritage ancestral et une chanson dédiée aux femmes kabyles "Ahaya Thilawin" (Allez les femmes) le lancera complètement.

Puis il s'achemine vers une poésie débarrassée des métaphores propres à la chanson algérienne où le message devient de plus en plus direct. A 22 ans, il sort son premier album "Ayizem" (Ô le lion) et amorce, au rythme des évènements sociaux qui secouent l'Algérie, une carrière de chanteur engagé interdit sur les ondes de son pays. Au début des années 1990, les artistes algériens, se sachant menacés, sont contraints à s'exhiler en France. En effet, les intégristes musulmans considèrent la musique comme illicite et dépravée car elle détournerait les croyants du Coran.

Défenseur farouche de la culture tamazight et de la laïcité, Matoub Lounès fera fi de l'avertissement des islamistes qui l'avaient enlevé en 1994 : il donnera en Janvier 1995 deux concerts au Zénith (Paris) qui rassembleront un public majoritairement kabyle de 12000 personnes. Les concerts aux allures de meetings se succèdent en France et à l'étranger. La célèbre voix rocailleuse et chaude est régulièrement relayée par les youyous (cris de joie traditionnels) qui fusent et ponctuent des chansons souvent incendiaires mâtinées de slogans berbéristes.

Une triste occasion pour le public international de découvrir la chanson kabyle oubliée des charts depuis le premier grand tube de world music "Avava Inouva" de Idir sorti il y a vingt ans. La chanson kabyle se distingue par une orchestration épurée où le mandole traditionnel (sorte de luth à fond plat) ou encore la guitare folk s'imposent selon les morceaux avec un accompagnement à la derbouka (percussion) et la qasba (flûte de canne traditionnelle). On sent toutefois dans le répertoire de Matoub Lounès notamment des accents de musique chaâbi (populaire algérois) traditionnellement en arabe et que le chantre rebelle interprète bien sûr en kabyle. On citera entre autres "Ru Ay Ul " (Va mon cœur), " A Yemma Azizen " (Chère Mère), " Slavits Aya Bahri " (Va joue le vent) et " Au nom de tous les miens ".

En 1998, Matoub persiste et signe en enregistrant une adaptation subversive en kabyle de l'hymne national algérien. Un nouvel album dont le chantre indomptable n'accompagnera pas la sortie prévue prochainement.

Matoub, plus qu'une étoile était un feu follet. Il s'est éteint courageusement pour ses idées en digne "Amazigh " (homme libre).

NB