Kimi Djabaté, l’émancipation par le balafon
Depuis Lisbonne où il vit depuis près de vingt ans après avoir quitté sa Guinée-Bissau natale, Kimi Djabaté nourrit autant qu’il perpétue le registre de la musique mandingue. Chanteur, joueur de balafon et de kora, mais aussi percussionniste et guitariste, il s’affranchit avec bonheur de sa condition purement traditionnelle sur son 4e album Dindin.
C’est un village d’irréductibles griots qui résiste encore en 2023 à l’impérialisme culturel et défend ses traditions millénaires. Situé en Guinée-Bissau, à une soixantaine de kilomètres de la Casamance et à peine plus de la Guinée, Tabatô ne compte que quelques centaines d’âmes, mais doit sa notoriété à sa population : on l’appelle "le village des musiciens" car ici tout le monde est réputé jouer de la kora, du balafon… Un haut lieu de l’héritage mandingue, mentionné dans les guides touristiques, évoqué aussi dans le long-métrage La Bataille de Tabatô de João Viana distingué en 2013 au festival international du film de Berlin.
Représentant de la culture mandingue
Kimi Djabaté y est né en 1975, année de l’indépendance de cette ancienne colonie portugaise. S’il a décidé de rester en Europe en 1994 tandis qu’il était en tournée avec le ballet national de son pays, c’est en partie pour échapper chez lui à une forme de pression sociale pesante – une conséquence souvent occultée lorsqu’on évoque la vie de ces musiciens prodiges très sollicités depuis leur plus jeune âge.
Jouer de son instrument relevait auprès des siens du devoir sociétal, sans que la notion de plaisir entre en considération. Avec ses obligations, les injonctions des aînés pas tous bienveillants, parfois intéressés. De quoi transformer l’amour naturel, quasi instinctif de la musique en dégout viscéral et profond, se dit-on en lisant l’histoire de Kimi. Pas dans son cas, heureusement, bien que cette période-là ait laissé en lui des traces, sinon des fêlures.
Longtemps, il n’a pas complètement échappé à sa condition, malgré les kilomètres. Au Portugal où il réside depuis près de deux décennies, il est devenu l’un des représentants les plus actifs et appréciés de la culture mandingue.
Ses albums, incontestablement de belle facture (en particulier Karam, paru en 2009), avaient pourtant quelque chose de scolaire. À leur façon, ils prolongeaient la situation qui avait prévalu en Guinée-Bissau : l’enfant qui veut faire plaisir à sa famille en fournissant un travail dont elle pourrait être fière.
Quatrième album
Dindin, son quatrième album, rompt avec ce schéma. D’emblée, il le fait comprendre avec Afonhoe, sur un faux air de reggae, avec ses saxophones qui cancanent, une guitare qui s’aventure sur des terrains du nord Mali (n’avait-il pas joué en première partie d’Ali Farka Touré au début de sa carrière ?) et son balafon fétiche qui se charge d’occuper l’arrière-plan.
Avec la même efficacité, les percussions dansent et le tempo se fait plus rapide sur Alidonke. En contraste, Dindin appartient à ces chansons douces dont se dégage une chaleur enveloppante, comme le Malien Habib Koité sait si bien les faire. Un côté blues, aussi, que l’on retrouve en plusieurs endroits de l’album. L’accordéon, qui remplit à sa façon le rôle d’un harmonica, renvoie à une forme de nostalgie, tout en conservant l’esprit sauvage du funana du Cap-Vert. Un lien entre ex-colonies lusophones ?
Le titre même de ce morceau fait référence aux enfants, appelant à cesser leur exploitation et à mettre en place l’éducation nécessaire à leur avenir. Il y est question d’espoir "bien que Kimi parle avec douleur de son expérience personnelle", lit-on dans le livret.
Autre résonance du passé, Omanhe condamne la pratique des mariages forcés et fait remonter un souvenir : Kimi n’a jamais oublié les pleurs de la jeune épouse lors d’une cérémonie où il avait joué, pas plus que les réprimandes sèches de sa propre mère à laquelle il avait fait part de ses interrogations devant une telle situation.
En 45 minutes et onze chansons, le musicien chanteur bissau-guinéen s’est débarrassé d’un poids qui bridait sa créativité. Lui qui reconnait avoir eu du mal à bien vivre avec son talent s’est enfin libéré. Il en a fait un atout, allant à l’encontre des mises en garde de ses proches qui voyaient dans ses qualités la source d’un possible malheur. Sa collaboration et son amitié avec Madonna, nées lors des années lisboètes de la star américaine qui lui ont inspiré l’album Madame X, ne sont peut-être pas totalement étrangères à cette mue bienvenue.
Kimi Djabaté Dindin (Cumbancha) 2023
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