Danyel Waro et les maîtres du bèlè

Entre deux périodes de travail avec Titi Robin (à la Réunion, puis à Angers) dans le but de préparer une création commune, Michto Maloya, pour le festival Africolor, Danyel Waro, le flamboyant passeur du maloya réunionnais, est allé en Martinique en octobre rencontrer les maîtres du bèlè (bel air), la musique traditionnelle martiniquaise croisant chants, tambours et danses, héritée du temps de l’esclavage.

Invité par la Maison du Bèlè, une structure créée en 2003, implantée au quartier Reculée dans la commune de Sainte-Marie, au nord de l’île, réputée pour être le berceau de la tradition, Danyel Waro et son groupe ont animé des ateliers, donné un concert à l’Atrium, à Fort-de-France, où le chanteur a invité les maîtres à les rejoindre. Ceux-ci l’ont ensuite convié le soir suivant à la soirée organisée à la Maison du Bèlè. "C’est la première fois que je viens dans cette zone, confie Waro. Et jusqu’à aujourd’hui, j’ignorais tout du bèlè."

Ressemblance

À la Réunion, on connaît le zouk, la biguine, mais du bèlè, il n’est pas vraiment question. "Pour moi dans le bèlè, il y a la même profondeur que dans le maloya. Le chant se répète et les choeurs lui répondent. En Martinique, comme en Guadeloupe et à la Réunion, on utilise un tambour, fait d’un ancien tonneau ou d’un tronc, sur lequel on s’assied pour le frapper des deux mains et parfois du pied. Il y a une ressemblance physique flagrante. La tradition maloya chante la vie de tous les jours, comme le bèlè, la danse est libre et en sensualité. Les îles ont gardé tout cela de l’Afrique, chacune l’adaptant à sa façon."

La proposition de résidence en Martinique a interpellé Danyel Waro à plusieurs niveaux. "J’étais intéressé à l’idée de rencontrer des anciens qui faisaient de la musique traditionnelle proche de la notre quant à la forme, dans une île que je connaissais mal. Je voulais donc tenter de comprendre un peu cette région. À la Réunion, nous avons souvent des idées préconçues quant aux Antillais. Nous les sentons plus revendicatifs d’une identité, davantage résistants. Mais je me souviens que lorsque la défunte chanteuse haïtienne Toto Bissainthe est venue chez nous, elle avait déclaré qu’elle trouvait, elle, les Réunionnais plus rebelles que les Antillais, au contraire. J’ai réfléchi à tout cela. Je me suis dit que peut-être dans les Caraïbes il y a un sentiment d’appartenance plus forte à une communauté (noire ou créole). Cela crée une sorte d’homogénéité, une unité, une force. À la Réunion, du fait des nombreux apports de populations différentes, cela génère beaucoup plus de divisions au départ dans notre tête, donc l’idée de quelque chose d’hétérogène, moins uni, moins reconnaissable, moins définissable."

Respect

 

Venir seulement quelques jours en Martinique peut avoir un côté frustrant quand on veut, au-delà de la rencontre musicale avec les maîtres du bèlè, discuter avec les gens et avoir une réflexion sur l’identité. "On sent bien que c’est compliqué ici, comme chez nous, qu’il y a un 'problème' non résolu quant à l’esclavage, la colonisation, aux maîtres, aux couleurs, aux différences religieuses. Je perçois certaines choses mais je n’ai pas pu creuser vraiment."

Avec les anciens, avoue Waro, il n’a pas été question de tout cela. "On les a écouté chanter et jouer en respect. Il faut prendre beaucoup de temps, sinon on peut tomber dans le piège d’enregistrer et de prendre avec une certaine distance, au lieu de vivre les choses. Il faut aller dans leur musique, manger à table avec eux, discuter, rire." Au cours de l’un de ces repas communs, Waro a commencé à lancer des devinettes, l’un de ses jeux favoris. "Les devinettes pour moi, c’est une clé de nos cultures de tradition orale. Au début ils m’ont dit : non, nous on ne fait pas ça. Puis petit à petit ils se sont mis eux aussi à m’en poser. Il y a des choses enfouies qui se réveillent parfois. Pour les éveiller, il faut batailler, lutter contre le phénomène de dépersonnalisation, d’oubli, d’érosion d’une identité. On a beaucoup à apprendre de ces anciens qui cachent leurs richesses, alors que tout cela demande à être partagé. On sent qu’une bonne partie des richesses fout le camp. En Martinique, avant que les anciens ne disparaissent, ce sauvetage peut passer notamment par des endroits comme la Maison du Bèlè."

Les maîtres du bèlè en tournée le 30 novembre à Joué les Tours, le 1er décembre au festival Africolor à Saint Denis, avec Dédé Saint-Prix, le 7 aux Trans Musicales de Rennes, le 12 à Saint Vallier, le 15 à Rouen.
Danyel Waro et Titi Robin au festival Africolor à Saint Denis le 3 décembre