Dyaoulé Pemba et les esprits vaudou

Auteur d’un premier album intitulé Moonlight chante Haïti et sélectionné aux Découvertes du Printemps de Bourges 2008, le groupe Dyaoulé Pemba plonge au cœur de la culture haïtienne, porté par la voix de la chanteuse Moonlight Benjamin.

Quand Moonlight quitte les Caraïbes à l’aube de ses trente ans pour venir suivre une formation de chant à Toulouse en 2002, elle ne tarde pas à s’apercevoir que sa terre natale n’évoque plus grand chose dans l’esprit des Français : chaque fois qu’elle mentionne le nom d’Haïti, lorsqu’on lui demande d’où elle vient, ses interlocuteurs comprennent "Tahiti". La confusion l’étonne d’autant plus qu’il y a pour elle "une vraie histoire entre Haïti et la France. La France est encore très présente là-bas. Comment se fait-il qu’ici Haïti soit oubliée ?" La question hante la jeune femme qui trouve là l’occasion qu’elle attendait pour parler de son pays comme elle avait toujours souhaité le faire, à travers ses chansons.

Accompagnée par Johann Azuelos, un percussionniste français rencontré sur son île et avec lequel elle avait gardé contact, elle profite d’une manifestation culturelle consacrée à l’Afrique pour donner son premier concert sur le sol français, quelques mois après son arrivée. La soirée se déroule dans une chapelle. Moonlight doit jouer en dernier, mais la salle se vide après la prestation du groupe qui la précède. Mauvais présage, croit-elle avant d’avoir une idée : "J’ai demandé qu’on éteigne toutes les lumières dans la salle avant de monter sur scène. J’ai allumé une bougie et j’ai chanté à voix nue. Quand les percussions ont démarré en douceur, ils ont remis progressivement les lumières. Et là, j’ai vu que le public était revenu."

 

Sur sa lancée, elle recrute une poignée de musiciens de la région toulousaine pour mener à bien son projet artistique. Qu’ils aient une culture musicale différente de la sienne et viennent d’horizons divers ne la dérange guère. Au contraire, elle veut donner à son répertoire des couleurs métisses. "Ils ont leur personnalité et ils sont libres de faire des propositions. C’est un vrai travail d’équipe, de partage et j’aime beaucoup cela, car sans les autres, je n’y arrive pas" explique-t-elle.

La grande fête

La formule, complètement acoustique, fonctionne si bien que la chanteuse choisit de ne pas se mettre en avant, "pour qu’il y ait une cohérence". Plutôt que d’incarner sa formation, elle la baptise Dyaoulé Pemba, un terme créole que les anciens utilisent pour parler d’une "grande fête". La machine s’est d’abord rodée sur scène pendant plusieurs années, puis tous se sont réunis dans un studio de Haute-Garonne pour enregistrer leur premier album au titre explicite, Moonlight chante Haïti.

Sur les dix chansons, seules Nago, Ayitik et Legba sont signées par le groupe. "J’ai voulu privilégier ceux qui savent écrire des textes. Moi, j’écris peu. Je pense que chacun a son métier, ses capacités. J’aime beaucoup la langue française et je ne veux pas l’écrire n’importe comment. Je peux écrire en créole, mais pas en français. Ça me paraît trop dur", justifie Moonlight.

Elle a préféré puiser dans le patrimoine traditionnel, rendre hommage à son illustre compatriote Toto Bissainthe ou encore s’appuyer sur les mots de Manno Charlemagne, auteur de Fini les colonies et Le Capitaine America, deux morceaux à l’image du combat mené par cet ardent défenseur de la culture haïtienne qui fut aussi maire de Port-au-Prince.L’écrivain Jean-Claude Martineau a lui-aussi apporté sa contribution. Il était déjà présent aux côtés de la chanteuse avant qu’elle ne s’expatrie. Car la carrière de Moonlight a réellement débuté dans son pays, où elle a collaboré avec de nombreux artistes, sorti quelques titres diffusées à l’échelle locale sans jamais avoir l’opportunité d’aller plus loin.

Entre chanson française et vaudou

Attachée à sa propre culture, elle s’est forgé une identité également marquée par la chanson française qui reste encore très populaire en Haïti. Elle aime surtout les chanteurs à textes comme Léo Ferré. Et les chanteuses à voix, comme Edith Piaf. "La différence entre ce que je faisais en Haïti et ce que je fais aujourd’hui se situe à la fois sur le plan musical, puisque mes musiciens étaient de là-bas, et sur le plan culturel : j’ai pris l’initiative de parler du vaudou alors qu’auparavant je ne chantais pas de musique traditionnelle. J’avais peur qu’on me montre du doigt" analyse-t-elle.

 

Adoptée à sa naissance, élevée dans une ambiance protestante très stricte qui ne lui permettait pas de s’épanouir, elle a quitté la maison à seize ans avec la ferme intention d’"aller voir ailleurs ce qui se passait", en particulier du côté du vaudou qu’on lui avait pourtant toujours présenté comme "le diable". Elle y a trouvé la liberté de s’affirmer qu’elle recherchait mais il lui a fallu du temps pour assumer ouvertement son choix. Avec l’album Moonlight chante Haïti, elle a franchi le pas en reprenant des chansons traditionnelles telles que Twavay. "C’est pour saluer un esprit qui s’appelle Kouzen Zaka, le dieu de la terre, du travail. En fait, on ne peut pas faire une cérémonie vaudou pour un esprit sans les saluer tous et dans un certain ordre. Et tout ça se fait à travers les chansons, la danse." Des rites et des rythmes que Dyaoulé Pemba entend, à sa façon, perpétuer.

 

Dyaoulé Pemba Moonlight chante Haïti (Ma Case/L’autre Distribution) 2007
En concert le 17 avril 2008 aux Lilas et le 19 avril 2008 au Printemps de Bourges