Zanmari Baré, le maloya par delà les mots
Au pays du maloya, sur l’île de La Réunion, Zanmari Baré fait partie de ceux qui perpétuent et renouvellent ce style musical, dans la lignée du grand maître Danyel Waro. Voun, son deuxième album, dévoile un peu plus l’écriture et la personnalité à fleur de peau de cet artiste qui avait marqué les esprits en 2013 avec Mayok Flér.
RFI Musique : L’envie de transmettre des chansons à vos enfants était au cœur de votre premier album. Cette fois, pour le suivant, vos intentions étaient-elles différentes ?
Zanmari Baré : Pas vraiment. Pour moi, cet album est une suite, avec du maloya sur des textes, assez anciens et d'autres plus récents. Pour la petite histoire, j'ai deux enfants. Une grande fille, Marie, pour laquelle j'avais écrit une chanson sur le premier album. Mon deuxième enfant, Frédéric, me disait que je chantais toujours pour sa sœur et jamais pour lui. Il y a longtemps, j'avais aussi écrit une chanson pour lui et du coup, je l'ai mise sur ce deuxième album. Donc l'idée de la transmission est toujours en ligne de mire. D'autant plus que, sur ce nouvel album, j'ai aussi mis la traduction en créole d'un texte intitulé Bekabir que mon père me chantait quand j'étais tout petit, et qu’on lui avait appris quand il était enfant. J'ai chanté cette chanson aussi à mes enfants quand ils étaient petits. Je l’ai tout simplement relayé en la mettant sur ce disque. Dans mes tournées en métropole, il m’est arrivé de la faire en créole et en français et parfois, dans le public, des personnes d'un certain âge connaissaient la version française de cette chanson ! Ça m’a permis de comprendre qu’il y avait une sorte de lien : puisque du côté de mon père, on aimait chanter, je suppose que dans certaines régions de métropole aussi, ce devait être le cas.
Êtes-vous issu d’une famille réunionnaise de longue date ?
Oui. Mon père était ce qu'on pourrait appeler un "Petit Blanc des hauts", d'origine française. Ma mère, plutôt créole. Cela donne une assise de savoir d'où on vient. C'est humain. Ça stabilise. De mon côté et de celui de ma femme, on a fait notre généalogie. Tous les Réunionnais ont besoin de ça, de comprendre qui ils sont. Certains veulent chercher une identité plus affirmée, indienne, malgache ou européenne. Soit. Mais on sait très bien que notre identité, c'est notre mélange. Avec ses richesses.
En quoi les textes les plus anciens qui figurent sur cet album sont-ils éventuellement différents des plus récents ?
Ça peut être dans l'interprétation ou dans l'écriture, mais l'idée générale est toujours là. Par exemple, Mwin Gaby, qui traite de l'alcoolisme et des femmes. Je l’ai écrit vers 2005-2006 et je l'ai mis à l'ordre du jour. Au départ, il était à la fois chanté et parlé. Avec le temps, je me suis dit que ce serait compliqué. Du coup, finalement, j'ai tout mis en chanson. Il y a eu une évolution et ça donne plus de cohérence.
Qu'est-ce qui explique ou justifie qu’une chanson puisse durer moins de deux minutes ou plus de neuf, comme c’est le cas sur cet album Voun ?
Ce serait trop contraignant que les textes ne durent pas plus de quatre ou cinq minutes ! C'est en fonction de ce que j'ai à dire sur un thème précis. Ce n'est pas une question de durée. Pour Monmom Bib, la chanson pour mon garçon (l’une des plus longues, NDR), il s’agit du rapport père-fils. Je voulais montrer les nuances, pas au niveau des mots, mais sur le plan invisible qui existe entre ces deux êtres. Et l’instrument qu’est le bobre le permet, comme la répétition des refrains. Pour Déor in Paradi (l’une des plus courtes, NDR), je tenais à être concis. Dire l’essentiel en peu de mots. La chanson est assez sombre, elle parle de ce qu’on appelle les enfants de la Creuse, c’est-à-dire du "transfert" de gamins de La Réunion vers certains départements français. Je voulais que les gens la prennent en pleine figure. En plus, c’est elle qui ouvre l'album ! Le maloyeur, le chanteur de maloya, peut parler de sentiments, d'amour, de choses assez simples, mais aussi dire ce qui ne va pas dans la société, car l'histoire a fait qu'il a ce rôle-là. Un regard un peu lucide.
À quoi le maloya fait-il résonance en vous ?
A la Réunion, il y a deux grands courants : le sega, très festif, et le maloya, un peu festif aussi, mais avec une note revendicative, triste. Les premières chansons que j'ai écrites étaient des chansons plutôt tristes. Par exemple Blandine, la chanson pour ma grand-mère. C'était un besoin crucial de me libérer d'un poids. On dit que dans les kabar (soirées maloya, NDR), certains chants sont comme des pleurs. Il y a un peu de ça. Une part de nostalgie, qu'on ne retrouve pas forcément dans le sega mais qui est très présente dans le maloya. À fleur de peau. Un côté blues, un besoin d'enracinement, de comprendre qui on est, d'où on vient. Mon attirance pour le maloya vient certainement de là.
Zanmari Baré Voun (Buda) 2018
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