Morgane Ji, la guerrière créole

Album "Woman soldier" de Morgane Ji © DR

Auteure, compositrice, banjoïste et vidéaste, Morgane Ji est une artiste singulière. Métisse déracinée de la Réunion, son île natale, dès son plus jeune âge pour être adoptée par une famille métropolitaine, elle fait preuve d’un esprit combatif hors pair à l’image de sa musique. Entre rock tribal et électro, son esthétique est inclassable. Après une belle tournée européenne (Russie, Allemagne, Portugal), la chanteuse vient de signer un premier LP Woman soldier. Rencontre.

 

RFI Musique : Vous signez un premier LP intitulé Woman soldier. Pourquoi cette référence à une femme soldat?

Morgane Ji : Woman soldier est un album que j'ai voulu dédier aux femmes, à leur combat quel qu'il soit, on peut mener un combat sur un champ de bataille, chez soi pour élever ses enfants avec dignité, dans la rue pour simplement survivre. Faire de la musique quand on est une femme, essayer d'imposer son univers musical n'est pas toujours chose facile .Il faut aussi se battre quand on est une artiste indépendante, pour rester soi-même et exister au milieu de la «jungle» musicale. Il faut avoir l'esprit guerrier quand on monte sur scène car c’est un challenge et une mise à nue. Il faut donner beaucoup d'énergie, tout donner. Récemment après un concert une femme est venue me voir et m'a dit que ça n'allait pas dans sa vie personnelle et que je lui avais donné envie de se battre. Voir les autres mener un combat avec force nous encourage à mener les nôtres. 

 

Vous chantez essentiellement en anglais. Pourquoi ce choix en tant qu’artiste française? Est-ce vous estimez que cela colle mieux avec votre esthétique musicale?

Les titres de cet album donnent cette impression, mais en réalité je compose aussi beaucoup en français, en créole, en onomatopées. Nous avons une centaine de titres dans les machines, nous en avons extrait une dizaine pour faire cet album, et c'est vrai que l'anglais paraît ressortir, mais j'aime jouer avec ma voix et les langues permettent d'aborder le son d'une manière très différente.

 

Quels sont les principaux thèmes que vous défendez dans vos textes?

Les combats de femmes, les migrants, la quête identitaire, les agressions sexuelles, les sans domiciles fixes, les histoires d'amours impossibles, le deuil, la guerre... Ce ne sont pas des thèmes très joyeux, mon processus de composition est souvent déclenché par la tristesse, ou la révolte.

 

Morgane Ji en concert © Nicolas Doubre

Outre le fait que vous soyez lead vocal vous jouez du banjo. Un instrument singulier, Comment s’est opéré ce choix?

Le banjo est un instrument qui a plusieurs facettes, il est à la fois puissant en terme de volume et roots dans le son. Il peut être joué en picking (NDLR: technique utilisant le médiator et les doigts) mais on peut aussi envoyer des accords distordus en le faisant passer dans une pédale d'effet. J'adore le débit de notes que l’on peut avoir avec cet instrument !

 

Votre style est pop world rock électro tribal. Pourquoi cette orientation musicale?Je n’arrive pas à mettre ma musique dans une catégorie, et porter une étiquette m'enfermerait dans un carcan. Je travaille depuis le début avec le réalisateur artistique E.r.k, nous sommes des artistes indépendants je veux que la composition dans la sensibilité du moment soit le seul moteur de la création même si des morceaux aux esthétiques différentes doivent cohabiter sur le même album! Nous sommes programmés dans des festivals à tendances jazz, pop, world, rock ou blues. Nous travaillons avant tout sur la singularité d'un univers musical. L'énergie de notre musique est rock, les processus utilisés en studio et en live avec les effets sont électro, les rythmiques et les voix harmonisées sont inspirées des musiques primitives, tribales.

 

Vous entretenez un côté mystique, chamanique dans vos tenues vestimentaires. D’où vient cette attirance pour ses philosophies?

La philosophie spirite, la spiritualité et le magnétisme sont très présents dans ma vie, et dans mon rapport à la création, je ne sais pas dire pourquoi… L'expérience de la scène et du rapport avec le public est aussi quelque chose de très intense énergétiquement parlant. C'est d'ailleurs ce qui rend chaque concert singulier, d'une certaine manière ce qui flotte dans l'air, l'électricité et les vibrations vont créer une part du show. Je porte toujours à chaque concert un mélange de bijoux et vêtements rapportés des pays dans lesquels je suis allée. J'aime prendre le temps de me préparer avant les concerts, c'est aussi une manière de se concentrer.

 

Vos origines sont multiples. J’imagine que le mot métissage pour vous prend tout son sens?

Je suis métisse, si je faisais un test ADN on trouverait probablement dans mes ancêtres des origines très différentes, africaines, indiennes, asiatiques… Le voyage est très présent dans ma vie. Mes amis sont français indiens espagnols japonais, marocains... Quand on passe du temps avec les gens et que l’on découvre leur culture il y a toujours des connexions qui se font, des codes que l’on retrouve.

 

Vous faites partie de cette génération d’enfants transplantés de la Réunion vers la métropole. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette douloureuse histoire française qui a duré presque vingt ans?

Cette histoire refait surface aujourd'hui et je salue le combat sans relâche de Jean-Jacques Martial (NDLR auteur de l’ouvrage Une enfance volée) et de tous ceux qui ont œuvré pendant plusieurs années pour qu'elle ne soit pas oubliée, pour que les ex-mineurs aient droit à la reconnaissance de leur histoire et entre autre au financement de leurs billets d'avion. J’ai eu la chance d'être adoptée par une famille aimante et de trouver dans l'art une forme d'exutoire. Mais il y a eu beaucoup de vies brisées, de la maltraitance… L'affaire a été très médiatisée et une commission a rendu son rapport. Tout devait être mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur parcours personnel, mais dans le concrêt, c'est très difficile d'avoir accès aux informations, on se perd dans les méandres de l'administration où chacun renvoie la balle à l'autre... Je crois vraiment que cette histoire doit continuer de nous interpeller sur les droits des enfants à travers le monde. Car le trafic d'enfants et les adoptions illégales sont malheureusement toujours d'actualité.

 

Plus d'infos sur Morgane Ji : Site Officiel / Page Facebook / Chaîne Youtube / Compte Instagram / Profil Twitter

Woman soldier (Aztec Musique/ Pias/ RFI Talent) à écouter ici :

 

 

 

 

(c) Photo Live Nicolas Doubre