Ali Amran, kabyle et rock
Tidyanin, 5e album du musicien et chanteur kabyle Ali Amran conforte, entre tradition et modernité, les avancées de ce dernier en terres rock. Enregistrées par le producteur Bob Coke qui signe la réalisation de cet opus, ces 12 plages chantées en berbère à l’exception d’une (en bonus track) en français et anglais, nous parlent d’équilibres fragiles, précaires.
Fasciné par le personnage du funambule auquel il consacre un titre (Lxid ), Ali Amran avance au fil des plages de Tidyanin, comme sur un fil. Ce barde agile du rock’n’roll kabyle s’attache à nous décrire dans une langue riche en métaphores, des équilibres instables à l’image de ce titre en 5/4, servi en ouverture de ce nouvel album.
Il s’assure à chaque pas que la tension est la même d’un bout à l’autre et en tous points, de ce lien qui relie les musiques berbères de son enfance, dans les montagnes de Grande Kabylie et le rock qu’il découvre dans ses dernières années de lycée à Tizi-Ouzou puis à la fac, "à la grande ville" comme il disait à l’époque.
"Dans les musiques traditionnelles berbères que je jouais à l’oreille jusqu’alors, il n’y a pas d’harmonie, pas d’accord. On chante, puis on rejoue la mélodie avec les instruments" explique-t-il avant de se souvenir des premiers groupes de rock entendus : "Les Beatles, U2, Pink Floyd, Simon & Garfunkel, Cat Stevens…. Très vite, j’ai voulu faire ça avec la chanson kabyle, avoir ce son-là. En 1998, j’ai enregistré Ansebrid, un premier album paru trois ans plus tard. Aujourd’hui, on qualifierait ce disque de maquette au regard du peu de maîtrise de la production que nous avions alors en Algérie" se souvient Ali Amran.
L’exil
"Je l’avais laissé à des copains avant de partir" précise celui qui a pris ses cliques et ses claques en 2000. "Je voulais respirer comme je disais à l’époque. C’était la fin de la décennie noire. Je n’en pouvais plus de cette guerre civile, du terrorisme et du marasme ambiant. Il n’y avait pas de perspective et surtout pas d’espace pour la musique. Il fallait que je bouge.".
Il obtient un visa, passe par l’Italie, avant d’arriver en France. "C’était ma destination, mon but. Je m’inscris alors en DEA de langues berbères à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) afin de donner une suite à mon Magister entamé en Algérie". Un DEA qu’il ne finira jamais, la musique prenant le pas sur ses études.
Trois autres albums (Xli Sliman en 2005, Akka Id Amur en 2009 et Tizi N Leryah en 2013) sortiront de l’autre côté de la Grande Bleue. "Les deux derniers ont été réalisés par Chris Birkett (Talking Heads, Les Pogues, René Lacaille, Alain Chamfort). C’est ma première expérience avec un musicien directement issu de la culture musicale vers laquelle je souhaitais aller" confie aujourd’hui celui qui déclarait dans les colonnes du quotidien algérien El Watan le 1er octobre dernier : "être directement passé de la musique et des rythmes kabyles traditionnels au rock, sans vraiment faire de détour par la musique kabyle moderne des années 1970". Ces quatre premiers opus seront repris ici en 2015 sous la forme d’une compilation - Tabalizt (Rue Stendhal) - de plus d’une vingtaine de titres, réenregistrés pour certains, et d’un inédit.
Enregistré presque en live
Tidyanin, ce nouvel album dont le nom signifie "évènement", "péripétie" a été co-réalisé par le producteur Bob Coke (Black Crowes, Ben Harper, Bashung, Phœnix…) et le musicien. Le son de cette douzaine de titres densifie un peu plus encore l’idée de ce rock kabyle cher à l’artiste.
"Bob a proposé que Fabien Mornet (guitare), Franck Mantegari (batterie) et Daniel Largent (basse), les musiciens qui m’accompagnent sur scène enregistrent ensemble les bases de l’album, en live pourrait-on dire. Ensuite, j’ai enregistré ma guitare et ma voix. Le son est évidemment plus cohérent, plus en interaction" ajoute ce militant qui n’oublie jamais de rappeler que les premiers peuplements d’Afrique du Nord étaient berbères : "Si je suis toujours en connexion avec les enjeux et les problématiques de la question berbère, si j’ai un vrai questionnement quant à la culture, à la langue, à leur pérennité, je ne suis pas pour autant un idéologue. Mes chansons sont avant tout des gestes créatifs. Je suis plus utile sous cette forme" juge-t-il.
"Mes ancêtres ont côtoyé les civilisations romaines, phéniciennes ou égyptiennes. Bien que dotées d’institutions, elles ont vu leurs langues disparaître. Le berbère, l’amazigh comme on l’appelle en Algérie et au Maroc, est toujours vivant alors qu’il n’est plus réellement écrit depuis l’Antiquité, à l’exception du Tifinagh, un alphabet tombé en désuétude chez les Berbères et conservé par les Touaregs, plus au Sud. On tente de le réintroduire. Longtemps ostracisée par les pouvoirs algérien et marocain au nom d’une idéologie islamo-arabique, l’Amazigh compte depuis peu parmi les langues officielles de ces deux pays".
Deux disparus
Le souvenir du chanteur et musicien Djamel Allam disparu le 15 septembre dernier sera évidemment évoqué : "C’était un ami et en même temps, c’est un très grand artiste. Un des premiers à avoir emprunté le chemin vers la musique moderne, à avoir fait de la chanson kabyle avec des guitares. C’est une vraie perte pour moi et pour la musique en général". Du chanteur et musicien Matoub Lounès à qui il consacre une ballade (Lwennas) sur cet album, il dit : "C’est un des grands militants de la culture et de la langue berbère. Son assassinat il y a tout juste 20 ans n’a fait qu’amplifié sa voix, son combat."
Ali Amran Tidyanin (La Trackasserie/L’Autre Distribution) 2018